Jean Garon sirote un café au Cosmos, boulevard Laurier, à Québec, dans ce secteur dominé par des centres commerciaux interminables. Son chapeau est posé sur la table, il regarde dehors, il semble fasciné.

«Regardez les autos! Regardez les autos qui entrent et qui sortent des centres commerciaux. Ça n'arrête pas.»

C'était mercredi après-midi. J'avais envie de jaser politique avec Jean Garon. Pilier des premières heures du PQ, ministre sous Lévesque et Parizeau, puis maire de Lévis: il connaît la chose publique, l'électorat, la politique.

En ce mercredi de mi-campagne, qu'est-ce qui dominait les bulletins d'information et les pages des journaux? La chicane Mario Dumont-Guy A. Lepage au sujet des griefs du chef de l'ADQ face à Tout le monde en parle.

Le vide, quoi...

«Les gens ne sont pas conscients de la crise économique qui s'en vient, dit Jean Garon. S'ils le savaient, il y aurait plus de débats et les gens sauraient pourquoi ils devraient aller voter.»

Cette crise économique qui s'en vient va poser brutalement la question de la formation de la main-d'oeuvre, lance Jean Garon, qui fut prof d'économie. «Or, de quoi on parle, à Québec? De la construction d'un nouveau Colisée! On se demande même s'il sera en bois québécois ou pas...»

C'est précisément pourquoi le premier ministre Charest a déclenché ces élections, dit-il. Parce que les gens ne savent pas à quel point nous allons, collectivement, être décoiffés par la récession, par cette économie américaine qui tousse. Déjà, on voit les signes de la tempête qui approche: Desjardins qui a fait des pertes de 40%, la Caisse de dépôt qui aurait perdu des milliards dans le papier commercial.

«Mais les gens ne savent pas. C'est pourquoi cette élection hâtive est un hold-up! Il sait qu'après Noël, ça va être bien différent.»

Aucune des trois campagnes n'impressionne celui qui a été ministre de l'Agriculture et de l'Éducation. D'abord, «il n'y a pas de débat» sur les enjeux. Ensuite, cette campagne électorale est une affaire de chefs.

«Chez les libéraux, aucun ministre ne parle. Seul Jean Charest parle. C'était la même chose avant les élections. Même chez les péquistes, c'est comme ça! Avez-vous entendu parler Pierre Curzi, depuis qu'il a critiqué la venue de McCartney? Seuls les chefs parlent. Les autres, ils ne peuvent pas parler. Philippe Couillard parlait, c'était le seul. Jean Chrétien a bien fait de réduire la taille du cabinet, dans le fond, les ministres ne disent rien!»

Ce n'était pas comme ça, à une autre époque, se rappelle Jean Garon. Les ministres parlaient, les députés et les candidats aussi. «Jamais on ne m'a dit de me taire! Là, on voit que les élus se font dire de ne pas parler. C'est quand ils deviennent des ex-politiciens qu'ils parlent dans les médias!»

Et l'ADQ? En 2007, Mario Dumont a pu miser sur le ras-le-bol de l'électorat face à Jean Charest et sa méfiance envers André Boisclair. Pas cette fois-ci, note-t-il.

Dehors, il commence à faire noir. La serveuse vient réchauffer le café de Jean Garon, 70 ans depuis mai. Il faut bien parler de la campagne péquiste: que pense-t-il de la performance de Pauline Marois, qui s'était, comme lui, présentée à la succession de Lévesque, en 1985?

Il sourit.

«C'est pas clair, ce qu'elle veut. C'est pas l'indépendance. C'est quoi? Et le passé la suit. Le déficit zéro, sous le gouvernement Bouchard, on sait que c'était pas vraiment zéro! C'est dur de reprocher ça à Charest...»

Le PQ a accepté de mettre l'option souverainiste en veilleuse, à la demande de Pauline Marois, venue remplacer sans opposition André Boisclair. Jean Garon, un pur et dur, croit que c'est temporaire.

«Si elle perd, le parti va lui reprocher d'avoir opté pour la mise en veilleuse de l'indépendance, il va lui dire: Ça n'a pas marché! La question va se poser, si elle n'a pas de succès. Et je ne pense pas qu'elle va en avoir.»

Le vieux routier parle encore de cette crise qui s'en vient, de cette ignorance dans laquelle le Québec semble doucement baigner. Il parle de caisses de retraite sous-capitalisées, de l'industrie forestière qui souffre, du secteur automobile qui crie famine, du protectionnisme qu'épousera le président Obama, «soutenu par les centrales syndicales américaines, il n'aura pas le choix».

Le bon côté de cette crise qui approche, c'est que de nouveaux interlocuteurs vont reprendre leur place. «Comme les syndicats: les gens vont avoir envie de se regrouper, c'est la fin de l'ère individualiste. Dans le débat public, les syndicats vont reprendre la place qu'ils ont perdue au profit des chambres de commerce.»

Et ce militant de la première heure du RIN voit même, dans ces lendemains gris et austères, un terreau fertile pour la souveraineté. «Quand les gens veulent-ils du changement? Quand ça va mal.»

Dehors, il fait soir, désormais. Jean Garon porte encore son regard vers le boulevard Laurier. «Regardez les autos. Ça achète sans arrêt! Ça va pas durer. Et une bouche vide, ça crie plus fort qu'une bouche pleine.»