Sur le plan des vacheries, oubliez l'oiseau qui faisait un petit cadeau à Stéphane Dion sur le site web des conservateurs. Sur ce même site - une colossale niaiserie digne d'un projet étudiant -, on trouve une charge vicieuse contre Michael Ignatieff.

J'emploie l'adjectif «vicieuse» à dessein. C'est celui qu'a utilisé Stephen Harper pour décrire la campagne qui s'annonçait, quand il l'a déclenchée, dimanche dernier...

Dans le coin inférieur droit du site notaleader.ca, il y a donc le dessin d'un petit bonhomme. Il tient une carabine. On clique dessus et, magie, apparaît un clip de Michael Ignatieff, le député libéral. Il a une bonne dizaine d'années en moins, il est dans un décor montagneux, entouré d'hommes qui parlent un dialecte inconnu.

Ignatieff emprunte la kalachnikov d'un de ces hommes et tire sur un tas de roches. Pan, pan, pan. Puis, il refile le fusil d'assaut à un autre type. Il sourit. On entend sa voix, en narration. Fin de la séquence.

Le contexte? Pas de contexte. Clairement, c'est un topo journalistique. Mais le site du Parti conservateur n'offre aucun slogan, aucun sous-titre, aucune mise en situation. Juste Ignatieff qui tire à la kalachnikov. The medium is the message...

Mon camarade Tristan Péloquin a élucidé le mystère: il s'agit d'un documentaire sur les nouveaux nationalismes qu'a fait Ignatieff pour la BBC, en 1994. Sur la séquence, il côtoie des rebelles kurdes, à couteaux (ou AK-47) tirés avec la Turquie et l'Irak.

Évidemment, si les pitbulls du PC avaient inclus ces quelques miettes de contexte au moment où l'on voit Ignatieff vider le chargeur d'une AK-47 sous l'oeil approbateur de menaçants bougnouls d'origine indéterminée, le clip aurait perdu toute son efficacité.

Car il s'agit ici de laisser planer un doute sur le député libéral. Quel doute? Ah! ça, à chacun son préjugé. Si vous êtes modérément nono et que vous voulez croire qu'Ignatieff s'est secrètement entraîné avec les talibans, libre à vous.

Et comme il y a beaucoup de nonos, dans la vie, ce clip peut vouloir dire n'importe quoi.

La beauté perverse de cette vidéo, c'est que ce n'est pas un mensonge. Pas un mensonge, mais pas la vérité non plus. Le petit espace sombre entre les deux, qu'on appelle «bullshit», et qui est le carburant principal de la politique.

J'ai appelé au Parti conservateur pour avoir un peu de contexte. Je n'en ai pas eu. Ce que j'ai eu, c'est Jean-Luc Benoît, l'ancien attaché de presse de Mario Dumont, qui m'a dit qu'il s'agissait d'humour et de dérision. «Il ne faut pas prendre ça au pied de la lettre», m'a-t-il assuré.

Puis, M. Benoît m'a offert la défense partisane habituelle: «Si les libéraux avaient un clip du genre à propos d'un de nos candidats...»

Ils n'auraient pas hésité, je sais. Et c'est sans doute vrai.

Encore faudrait-il que Stéphane Dion ne soit pas chef du Parti libéral. Boy-scout parmi les boy-scouts, Dion est incapable d'attaquer les bleus de façon efficace. Il fait une campagne basée sur les idées. Le pauvre!

Les idées, oui. Il a beaucoup d'idées, M. Dion. Son plan vert est un florilège d'idées qui font consensus parmi les gens qui s'activent en environnement.

Sauf que M. Dion fait deux erreurs.

La première, et je suis désolé de vous l'apprendre, c'est que la moyenne des ours n'est pas aussi entichée de la planète qu'on pourrait le croire. Les gens trouvent que le compost est une chose FA-BU-LEU-SE, certes, mais ils continuent de se faire bâtir des maisons à Mirabel même s'ils travaillent au centre-ville de Montréal. Pour se dédouaner, bien sûr, ils recyclent scrupuleusement leurs pots de yogourt et la boîte de carton de leur nouveau cinéma maison.

La seconde erreur de M. Dion, c'est de croire que les gens sont sensibles aux idées. Ah! Les idées! Les fameuses idées! On veut des idées, en campagne électorale, messieurs (et madame) les chefs de partis! Pas des attaques personnelles!

Bullshit, bien sûr.

La vérité, c'est que les gens connaissent les idées des partis. Et celles de leurs chefs.

Ils savent que le PC est un peu coincé à droite, côté morale. Ils savent que le PLC est légèrement, très légèrement à gauche. Ils savent que le NPD est un sympathique boy-scout (et loser, comme tous les scouts). Et oui! je vous jure que les gens savent que le Bloc est un parti qui se cherche, mais qui refuse de se saborder parce qu'un sabordage du Bloc serait hautement toxique pour la souveraineté.

Ils savent tout cela, les gens. Et ici comme ailleurs, ils votent d'abord contre le parti au pouvoir. Ensuite, ils plébiscitent (ou pas) les chefs.

D'où M. Duceppe qui crie au loup (Harper=Bush). D'où ces inlassables attaques du PC contre la personnalité même de M. Dion, dépeint comme un professeur maladroit, déconnecté, incertain, moumoune...

C'est pourquoi M. Dion perd. Ne pouvant compter sur une personnalité séduisante, il n'attaque même pas celle de M. Harper. Il n'essaie pas de le camper dans une caricature détestable ou risible. Il fait campagne sur ses idées (qu'il explique d'ailleurs assez mal, surtout en anglais).

M. Dion, tragiquement, n'a pas compris que les attaques personnelles existent pour une raison.

Parce qu'elles fonctionnent.