Cet été, je suis allé dans un pays étranger, un pays fascinant, peu connu des Québécois. Un pays en guerre, peuplé de gens qui se promènent armés dans les rues.

Non, non. Pas la Somalie, pas la Géorgie.

Je suis allé aux États-Unis.

Ah, vous me dites qu'on les connaît, les États-Unis! Pas vrai. Pas tant que ça. On connaît le nord-est des États-Unis. On va pédaler au Vermont. On va en week-end à New York. On va se faire bronzer à Ogunquit.

On connaît le nord-est, surtout. On connaît ce coin des États-Unis qui nous ressemble. Le coin progressiste, volvoïsant, patrie des Kennedy, de Seinfeld et du New York Times, et férocement anti-Bush.

Pour vous dire combien on ressemble au nord-est des États-Unis, un des deux sénateurs du Vermont se définit comme socialiste. S'il était québécois, Bernie Sanders militerait au PQ.

Sauf que les États-Unis, c'est pas le nord-est. Ce pays est un million de choses, et j'étouffe toujours un petit rire quand j'entends de grandes généralisations intrépides comme: «Les Américains sont...»

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Cet été, je me suis tapé un petit voyage anthropologique dans le centre des États-Unis. À Indianapolis, en Indiana. C'est vraiment très laid, n'y allez qu'en cas de besoin absolu. J'étais là-bas (je vous épargne les détails) pour aller voir une course de NASCAR.

Deux images me hantent, depuis, si j'exclus celle de Patrick Carpentier ouvrant la porte de son motorisé sur la tête de mon fils (je vous épargne les détails, bis).

La première, c'est cette jolie fille qui marchait avec des amis dans l'espèce de marché aux puces installé au milieu de la piste, le samedi de la course. Short en jean déchiré et, couvrant sa poitrine, un haut de bikini brun. Vingt ans, pas plus. Elle aurait pu être follement sexy. Même si elle portait des bottes de construction.

Sauf qu'elle chiquait du tabac.

La deuxième image, c'est à la station-service, près de la piste. Un type faisait le plein de sa Harley. Il avait la mine vaguement menaçante qu'affichent 97% des gars qui possèdent une Harley (Harley donne des rabais aux gars qui ont des mines patibulaires, selon certaines sources). Sauf que celui-ci était menaçant pour vrai.

À la ceinture, il portait un revolver. Comme au Far West.

Ce qui nous amène à Barack Obama.

Ou pas.

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Vu de chez nous, Barack Obama est le politicien rêvé. Jeune, inspirant, sans tache, intense, éloquent.

On trippe sur lui pour la même raison que l'Amérique progressiste trippe sur le sénateur de l'Illinois. Parce que, collectivement, on ressemble plus à l'Amérique de Ted Kennedy qu'à l'Amérique qui chique du tabac.

En ce juillet collant, dans le Midwest, au milieu de la piste de NASCAR, en croisant la fille qui chiquait du tabac, ça m'a frappé comme le missile d'un drone Predator foudroie un commandant taliban.

Ici, Barack Obama ne cadre pas. Pas du tout. Trop propre. Trop parfait. Trop sophistiqué. Trop «élitiste», la pire étiquette qu'on puisse coller à la peau d'un politicien américain.

Alors que McCain, lui, cadre parfaitement dans le décor enchanteur de l'Indianapolis Motor Speedway. Pas parce qu'il chique du tabac. Parce qu'il est républicain.

Les politiciens républicains ont ce génie inné: ils savent faire partie de l'élite politique et financière tout en se réclamant de la NASCAR nation, sans effort.

Voyez Bush, qui marche dans son ranch en bottes de cow-boy, les bras en parenthèses comme s'il avait des pamplemousses collés sous les aisselles. Débile, téléguidé, mais efficace. Réélu sans difficulté.

Obama va électriser les foules à Berlin. McCain va badiner avec des gars de Harley à un rassemblement dans le Dakota-du-Sud. Où il fait mine d'inciter sa délicieuse épouse Cindy à participer à un concours de t-shirt mouillé! Débile, encore, mais efficace.

Je ne dis pas que les États-Unis se résument Indianapolis ou à la faune du NASCAR. Je dis qu'on oublie souvent que les États-Unis, ce n'est pas juste Time Square. C'est un million de choses qui sont souvent mieux comprises par les républicains que par les démocrates.

C'est pour ça que je suis toujours surpris de voir des amis se surprendre de voir un John Kerry ou un Al Gore perdre contre un Bush.

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Jeudi, j'ai regardé le splendide discours de Barack Obama au bar de l'hôtel où je créchais, à Miami. Un moment d'anthologie, non? Ce discours, c'était du matériel à Goncourt (pardon pour la rime facile).

Mes poils de bras étaient au garde-à-vous, bien sûr. Après huit ans d'«idiocratie» néo-conservatrice, huit ans de politique destructrice à attiser la peur, toutes les peurs, après huit ans de débilité légère à gouverner une main sur la Bible et le pied sur la gorge de la science, un peu d'intelligence, ça fait changement de M. Bush.

Et cet Obama est inspirant en diable. Il a tout pour plaire.

Sauf que, loin de dominer cette course, il a John McCain aux fesses. McCain, dont la stratégie de communication consiste essentiellement à rappeler ses dures années de prisonnier de guerre aux mains des communistes nord-vietnamiens.

Pendant qu'Obama inspire les foules, McCain, lui, grignote tranquillement le piédestal du démocrate. Il martèle: trop jeune, trop inexpérimenté, trop ci, trop ça. Et ça marche.

Il y a aussi le fait que les républicains ont le chic pour faire des coups de cochon. Ils ne veulent pas changer le monde. Ils veulent gagner.

Pendant qu'Obama inspire, McCain, lui, il fait quoi? Eh oui, de la politique.

Ça me fait mal de le dire, et j'espère que je suis dans le champ, mais c'est pour ça qu'Obama ne gagnera pas, en novembre. Mon seul espoir ? Que la mystérieuse et inexpérimentée amie de Jésus enrôlée par McCain comme colistière mine son ticket.