C'est l'histoire d'un gars qui rêvait de faire du cinéma et qui était prêt à tout pour en faire. Un gars qui aurait pu s'appeler Xavier Dolan à cause de la détermination folle qui l'animait. Mais c'est aussi un gars à qui il manquait un ingrédient essentiel pour faire du cinéma comme Xavier Dolan. Cet ingrédient essentiel est une combinaison de sensibilité et de maîtrise qui s'appelle le talent. Et malheureusement, notre homme en manquait cruellement - du talent, s'entend.

C'est l'histoire d'un autre gars, un monsieur riche et puissant, assis sur un empire de salles de cinéma et qui à cause de son pouvoir, se permettait de faire la leçon aux cinéastes québécois en baptisant leurs oeuvres d'un sobriquet qui n'existe même pas dans le dictionnaire : les films lamentards, se lamentait-il avant d'ajouter que pour combattre cette tendance lourde dans le cinéma québécois, «il faudrait qu'on recommence à faire des films que le monde veut voir». 

Ce préambule pour expliquer la genèse de Papa est devenu un lutin, un film réalisé à compte d'auteur, c'est-à-dire sans financement public, par Dominique Adams et distribué depuis vendredi dernier dans plusieurs cinémas Guzzo, gracieuseté de Vincenzo Guzzo lui-même, qui a décidé de donner un coup de pouce au réalisateur à qui il a claqué la porte au nez à maintes reprises.

Selon le journaliste Nicholas De Rosa de la plateforme numérique Tabloïd, Papa est devenu un lutin est tellement mauvais qu'il en est bon. Mais ce journaliste est trop généreux.

Moi, je serais plutôt d'avis que ce film qui met en vedette un papa qui se mue en crétin est tellement mauvais qu'il est - n'ayons pas peur des mots - carrément pourri.

C'est du moins la réflexion que je me suis passée vendredi dans l'immense salle vide, hormis une maman et sa petite fille assises au fond en haut et qui sont parties au bout d'un quart d'heure, m'abandonnant à mon triste sort face à cet écran géant où s'est déployé, pendant une heure et onze minutes, le plus étrange objet non identifié et non identifiable qu'il m'ait été donné de voir.

Pour être tout à fait honnête, j'avais vu la bande-annonce il y a quelques semaines et découvert, avec une certaine stupéfaction, la peintre et lofteuse Elisabetta Fantone en maman full fru et l'humoriste Jean-Marie Corbeil déguisé en lutin grimaçant. Sur le coup, j'avais cru à une blague, une parodie, un pastiche moqueur et délibérément con des films d'elfes et de lutins. Et puis, j'ai compris que j'avais tout faux, que ce film mal foutu, à la trame narrative molle et redondante, aux personnages de carton interprétés par des acteurs caricaturaux, aux répliques clichées, n'était pas une blague. C'était un accident de voiture ou un déraillement de train qui se prenait au sérieux et qui voulait accoucher d'un film que le monde voudrait voir. Vraiment? Le monde veut voir des films comme celui-là?

Comment un propriétaire de salles et distributeur de films qui fait la leçon aux autres peut-il accepter de distribuer un tel torchon ?

Y a-t-il un scénariste dans la salle?

Dans les faits, la bande-annonce annonçait une telle catastrophe que les premières images du film - un long plan aérien d'une voiture qui s'enfonce dans la campagne enneigée - m'ont presque donné espoir. Peut-être que dans le fond, le film ne sera pas si mauvais que ça, me suis-je dit. Et effectivement, j'ai été surprise de constater que même si le film a été tourné à pleine vapeur en sept jours avec un budget anorexique de 30 000 $ et une équipe bénévole d'étudiants en cinéma, techniquement, sur le plan du cadrage, de l'étalonnage, de la brillance de l'image et de l'enchaînement des scènes, il ressemblait à un film, pas entièrement professionnel, mais pas entièrement amateur non plus. Bref, le navet était plus beau qu'il n'était bon.

Et s'il n'était pas bon, c'était à cause d'un navrant scénario, ou plutôt d'un non-scénario, s'articulant autour d'un couple, des parents de deux jeunes enfants, qui débarque dans un super chalet loué pour Noël. La mère veut que la famille se rapproche alors que le père accro à son ordinateur ne pense qu'à son boulot. Mais cette tension dans le couple dure deux grosses minutes, après quoi le papa bougon se mue en lutin et multiplie les gaffes et les blagues poches de mononcle. 

Sa petite fille est aux anges, sa femme, elle, n'arrête pas de se fâcher en traitant le lutin comme un enfant de 5 ans ou alors en changeant subitement son fusil d'épaule pour lui faire des avances et le culbuter dans le lit. 

Allô! Y a-t-il un scénariste dans la salle?

Ce film où le seul acteur qui joue avec naturel est Jack, le bébé du réalisateur, pose une question fondamentale. Comment peut-on être fou de cinéma comme le prétend Dominique Adams et ne pas voir que le scénario qu'on est en train d'écrire ne tient pas la route, est linéaire, redondant, ne développe aucune idée majeure, ne creuse aucun personnage et ne raconte rien de rien, pendant plus d'une heure? Comment peut-on aimer le cinéma, vouloir en faire et donner naissance à un tel massacre?

Et comment un propriétaire de salles et distributeur de films qui fait la leçon aux autres peut-il accepter de distribuer un tel torchon? Pense-t-il vraiment que le monde veut voir des films mal foutus et mal écrits comme celui-là?

Les plus optimistes croient que Papa est devenu un lutin est tellement mauvais qu'il va un jour rejoindre les films culte comme Angelo, Frédo et Roméo ou le navrissime Hot Dog. Il se peut que dans 20 ans, de jeunes amateurs de mauvais goût redécouvrent ce navet à peine confit et lui trouvent des qualités ou plutôt des défauts hautement divertissants. Si c'est le cas, tant pis pour eux.