D'abord, toutes mes félicitations à Patrice Laliberté, le cinéaste québécois de 32 ans qui réalisera le premier film Netflix made in Québec, doté d'un budget de 5 millions et financé par Netflix.

Toutes mes félicitations pour deux raisons : parce que ça fait six mois qu'on attend que Netflix bouge et mette en application ses promesses d'investir dans la production québécoise d'expression française. Or depuis six mois, c'était silence radio. Tous ceux qui s'étaient précipités aux Rencontres Netflix en mai dernier dans l'espoir de gagner au loto avaient beau allumer des lampions à l'église et prier le dieu de Los Gatos, Netflix se murait dans un mutisme suspect. Un premier pas vient donc d'être franchi. Bravo!

Toutes mes félicitations aussi à Patrice Laliberté qui n'a jamais réalisé un long métrage de sa vie et qui était sur le point de changer de carrière et de se laisser pousser une barbe de barista avant que Netflix ne vienne à son secours.

Essuyer refus sur refus des institutions qui financent notre télé et notre cinéma peut à la longue tuer son cinéaste. Mais si ça peut consoler Patrice Laliberté, qu'il sache que plusieurs avant lui sont passés par ce chemin de croix. Et pas les moindres! La liste est trop longue pour nommer tous ceux qui ont pris un numéro et dont le projet de film ou de télésérie a avorté, après des semaines, des mois, des années d'attente vaine. Donc re-bravo.

Sauf que c'est ici que les félicitations s'arrêtent. Et ici que commencent les mises en garde contre un surplus d'illusions.

La première illusion, c'est que Netflix est un accélérateur de carrières internationales.

«Ça va nous permettre d'exporter notre histoire à travers le monde entier», confiait le jeune cinéaste à mon collègue Vincent Brousseau-Pouliot.

Je ne veux pas le décevoir, mais pour la carrière internationale, il faudra repasser. Même si le nombre de films sur Netflix a chuté au cours des dernières années, il n'en demeure pas moins que son catalogue cinématographique compte actuellement un peu plus de 4000 titres.

Pour faire image, Netflix est un océan dans lequel sont jetés, pour ne pas dire garrochés, des centaines de films, qui sans pub ni préambule ni pneumatique flottent à la surface de l'eau avant d'être percutés par un cargo et de couler au fond.

À ce sujet, faites le test et posez à votre entourage la question suivante : c'est quand la dernière fois que vous avez vu un petit bijou de film islandais, serbo-croate ou austro-hongrois sur Netflix? Probablement jamais, pour la bonne et simple raison que Netflix carbure au consensus commercial et populaire. Or à ce jeu-là, ce sont toujours les grands titres avec les grosses vedettes américaines qui triomphent.

Aujourd'hui, quand on pense à Netflix, on pense à House of Cards, Making a Murderer, Bodyguard, Narcos, Designated Survivor ou The Crown, les titres les plus connus et donc le plus universellement partagés. Ajoutez à cela que les algorithmes de la plateforme n'incitent pas à la découverte. Plutôt le contraire.

Pour peu que vous ayez aimé une comédie romantique ou un film d'horreur, Netflix va suggérer des films de la même eau pour les mois à venir.

Bref, Patrice Laliberté a intérêt à inviter ses amis et ses proches à faire la pub de sa future production, sinon le film sera condamné à la noyade par manque d'intérêt et de visibilité. Surtout qu'une fois terminé, son film ne sera pas classé comme production canadienne. Et cela, même s'il existe depuis peu dans le menu canadien de Netflix un onglet pour les films canadiens et un autre pour les séries canadiennes.

J'y suis allée faire un tour et j'ai découvert cinq séries québécoises : Le clan, Nouvelle adresse, Série noire, Toi et moi et l'insupportable Vertige. La sélection est plus abondante côté cinéma avec Starbuck, Incendies, Monsieur Lazhar, Gaz bar blues, La grande séduction, Bon cop, bad cop et De père en flic. Notez que ces films et séries sont offerts presque uniquement au Canada.

Ce ne sera pas le cas pour le futur thriller nordique de Patrice Laliberté, qui va se retrouver peut-être dans le monde entier, mais sous la rubrique Netflix Original.

Autrement dit, le fait qu'il s'agisse d'un thriller nordique québécois passera complètement sous le radar. Le film sera vendu aux abonnés comme un film Netflix, donc un film apatride, sans réelle identité culturelle, une sorte d'objet non identifié, exploitant une nordicité qui pourrait être tout aussi bien sibérienne que scandinave.

Je ne veux surtout pas gâcher le bonheur de Patrice Laliberté et de ses amis, mais je ne peux m'empêcher de m'interroger sur la netflixisation de nos histoires et sur le fait que l'océan Netflix est immense. Tant mieux si on arrive à y survivre à bord de notre petit radeau québécois. Tant mieux si Netflix permet à de jeunes cinéastes de faire leurs classes avec des budgets respectables. Mais qu'on ne s'y trompe pas, ce n'est pas avec Netflix que l'on construit une authentique cinématographie nationale ni qu'on assure sa pérennité.