«Une vie entière d'humiliation» : c'est une des expressions utilisées par Jian Ghomeshi, qui fait sa première sortie publique depuis sa déconfiture et son procès pour harcèlement, inconduites et violences sexuelles.

Dans un texte publié dans le numéro d'octobre du New York Review of Books - à ne pas confondre avec le New York Times Book Review -, l'ex-animateur de radio de CBC revient sur les évènements de 2014-2015 pour essentiellement décrire «le calvaire» qu'il a subi depuis qu'il a tout perdu, passant du jour au lendemain du statut de héros à celui de zéro, voire de «trou de cul» de classe mondiale, selon ses propres mots, teintés d'autodérision.

«J'ai vécu une vie entière d'humiliation. Je ne peux pas déménager dans une autre ville ni tout recommencer sous un pseudonyme, voilà l'étendue du pouvoir de l'humiliation de masse contemporaine», écrit-il avant d'ajouter que cette période noire a néanmoins été fort instructive et semble lui avoir appris beaucoup de choses sur lui-même.

Lesquelles? On se le demande.

Car dans ce long texte d'apitoiement, Ghomeshi se préoccupe beaucoup de lui-même et peu de ses victimes.

Il s'excuse mollement au passage d'avoir été «émotionnellement indifférent» à leur sort et réitère que bien qu'il ait des remords sur la façon dont il a traité certaines personnes, il ne pourra jamais admettre des accusations qui, à ses yeux, sont fausses.

On se souviendra que l'ex-animateur de l'émission-culte Q à la radio publique canadienne a été acquitté de quatre chefs d'agression sexuelle parce que, selon le juge, les trois plaignantes qui l'accusaient de les avoir brutalisées pendant des échanges sexuels ont changé leur version des faits, minant ainsi leur crédibilité.

Or, dans son texte, Ghomeshi se garde bien de faire le moindre mea culpa, affirmant qu'il a été acquitté et lavé de toutes les accusations. Quant à la cause distincte de la quatrième victime, il se contente d'écrire que l'accusation a été abandonnée lorsqu'il s'est engagé à ne pas troubler l'ordre public, omettant sciemment d'évoquer la longue excuse publique qu'il a adressée à la plaignante, reconnaissant, entre autres, avoir eu à son endroit un comportement sexuel et professionnel déplacé.

Bref, quatre ans plus tard, le bourreau est devenu une victime qui ne semble pas avoir appris grand-chose, et surtout pas l'humilité ni l'empathie - deux valeurs qu'il dit désormais pratiquer, ce qui, bien franchement, reste à prouver. Surtout lorsque Ghomeshi pousse l'outrecuidance jusqu'à se vanter d'avoir été un pionnier du #metoo.

«Il y a passablement plus de types qui sont plus haïs que moi, maintenant. Mais j'ai été le PREMIER», écrit-il avec un sens toujours aussi inné de son importance.

Non, mais, quelle arrogance! Ghomeshi n'est le pionnier de rien du tout, sinon de sa propre connerie et de sa grossièreté lorsqu'il réduit la prise de parole des femmes à une affaire de détestation des hommes.

Il oublie au passage les abus de pouvoir éhontés à la source des récriminations féminines, mais aussi le changement profond de culture provoqué par le mouvement.

Dans une entrevue à Slate, Ian Buruma, un homme d'une soixantaine d'années, rédacteur en chef du New York Review of Books, justifie sa décision de publier le texte de Ghomeshi. Selon lui, ce texte nous amène à réfléchir sur ce que l'on fait avec les gens qui ont été acquittés légalement, mais qui continuent d'être jugés indésirables par l'opinion publique.

«Jusqu'où ce jugement devrait-il aller? Combien de temps devrait-il durer? Est-ce que ces indésirables devraient avoir ou non le loisir de faire un come-back? Voilà des questions auxquelles nous devrions tous réfléchir», clame-t-il, tout en refusant de reconnaître la violence des actes reprochés à Ghomeshi et répétant qu'aux yeux de la loi, il n'a commis aucun crime.

En fait, toute cette opération - autant les justifications du rédacteur en chef que le texte impénitent de Ghomeshi - a au moins un mérite : elle démontre noir sur blanc à quel point les mentalités n'ont pas tant évolué du côté de certains hommes, les agresseurs en premier comme Ghomeshi qui refusent de reconnaître le tort qu'ils ont causé aux autres, et ceux qui prennent fait et cause pour eux, sous prétexte que le mouvement #metoo est allé trop loin.

Encore plus pénible est cette insistance de la part de Ghomeshi à démontrer qu'il n'est pas différent des autres hommes. Il cite amis, connaissances ou même des étrangers qui l'ont contacté pour lui confier que ce qui lui est arrivé aurait pu leur arriver à eux aussi, sous-entendant que dans le fond, tous les hommes ont un agresseur qui sommeille en eux. Désolée, mais ce n'est pas vrai. Tous les hommes ne sont pas des agresseurs qui se servent de leur petit ou grand pouvoir pour dominer les femmes, sexuellement ou professionnellement.

Jian Ghomeshi peut bien essayer de se consoler en se comparant aux autres, mais personne n'est dupe. Il n'est pas devenu un indésirable pour rien. Tant qu'il ne le reconnaîtra pas de manière vraie et sincère, il restera cet indésirable qui suscite encore, et pour longtemps, notre jugement.