C'était censé être un petit coucou amical et enjoué : le coucou rituel du lundi de Johanne Fontaine, actrice, conférencière, coach de vie, motivatrice et survivante du cancer. Survivante en sursis depuis huit ans ! Huit longues années à multiplier les hospitalisations, les opérations, les séances de chimio, la douleur, les cicatrices, les nausées, mais aussi, à la première furtive éclaircie, les éclats de rire, les élans d'espoir, les danses et les virevoltes joyeuses sur fond de froufrous de crinoline. Tout cela dans une sorte de combat au finish contre un cancer du côlon avec métastases au foie et à l'estomac, un cancer décrété incurable.

Depuis quelque temps déjà, Johanne avait pris l'habitude d'afficher chaque lundi sur sa page Facebook une vidéo en direct, vidéo toujours placée sous le signe de l'espoir et de la bonne humeur et baptisée le coucou du lundi. Johanne nous y donnait de ses nouvelles depuis son loft ou alors au bord d'un lac à la campagne, nous encourageait à profiter de chaque instant que nous avions le bonheur de passer sur terre avant de nous inviter à nous inscrire à un de ses ateliers.

Or, depuis quelques semaines, les coucous se faisaient rares, jusqu'à celui de lundi dernier, où Johanne est apparue pâle et anémique au fond de l'écran, le dos voûté, les jambes flageolantes, ses bras nus comme deux allumettes, son débit lent et confus. D'une voix affaiblie, elle a annoncé que son cancer avait pour ainsi dire gagné et qu'elle était désormais en fin de vie. 

Et puis, comme pour nous rassurer et se rassurer elle-même, elle a ajouté cette phrase poignante : mourir, ça peut durer longtemps. Les larmes me sont montées aux yeux devant ce mélange terrifiant de tristesse, de désespoir et de déni.

Difficile de ne pas avoir mal pour elle. Difficile aussi de rester à l'écoute, car ce que Joanne nous a livré en temps réel, lundi, c'est sa lente agonie, pour ne pas dire sa mort en direct.

D'un côté, j'avais envie de lui dire de fermer la caméra et de retourner se soigner et se reposer. Garde tes énergies pour toi, ma belle. Ménage-toi. Va-t'en. Oublie-nous.

Mais de l'autre, j'ai cru comprendre qu'elle voulait peut-être nous garder avec elle jusqu'à la fin, nous rendant témoins d'une réalité occultée, mais que des milliers de gens vivent dans l'âpreté de la solitude et de l'anonymat. Ne fermez pas les yeux, ne vous détournez pas, regardez en face à quoi ressemble le trou noir du cancer, semblait-elle nous dire.

Johanne Fontaine n'est pas la seule à nous entraîner dans les méandres du cancer. L'auteure Dominique Demers a publié un livre que je qualifierais de lumineux - si tant est qu'un tel adjectif puisse être associé à cette maladie - sous le titre Chronique d'un cancer ordinaire - Ma vie avec Igor.

Igor, c'est le prénom de méchant dont l'auteure a affublé le cancer du sein qui l'a affligée il y a dix ans. Elle y décrivait avec une touchante sincérité le moment précis où elle croyait qu'Igor était né et avait pris racine dans son corps d'athlète : « Dans ma petite tête, il me semble clair que certains cancers ont des racines plus émotives que les autres... Un an avant qu'Igor n'explose dans mon sein gauche, j'ai vécu le deuxième pire drame de ma vie, le premier étant la mort de ma mère à 14 ans. L'homme avec qui j'avais partagé la moitié de mon existence est décédé subitement en grimpant une côte à vélo. J'ai eu l'impression qu'on venait de m'annoncer la fin du monde. »

Dominique Demers a commencé à écrire sa chronique d'un cancer ordinaire cinq ans jour pour jour après son diagnostic, tout en se demandant si elle avait envie de lire un autre livre sur le cancer. Ce qui l'a convaincue de poursuivre, c'est le désir d'informer les gens. 

« Il y a des choses dans le système de santé qui méritent d'être sues. Les écrire, c'est aider les gens à faire des choix éclairés si jamais Igor débarque dans leur vie. »

- Dominique Demers

J'ignore si le livre de Dominique Demers a aidé l'actrice Anick Lemay lorsque Igor a frappé à sa porte, le printemps dernier. Chose certaine, le cancer du sein d'Anick Lemay ne l'a pas seulement transformée comme femme, il nous a révélé l'auteure férocement talentueuse qui sommeillait en elle. Depuis le 9 avril, Anick publie ponctuellement dans la revue Urbania ses « carnets », sorte de journal, intime et cru, où elle nous entraîne avec brio dans « le gouffre lumineux » de son cancer du sein, ne nous épargnant pas les détails de ses chimios, de sa double mastectomie, ni de ses peurs et de ses angoisses avec une franchise et une absence de sentimentalisme qui forcent le respect et l'admiration.

Dès sa première chronique, l'actrice a jeté les bases de sa démarche en écrivant : « J'ai envie de prendre cette tribune pour prendre ta main et te faire découvrir, en même temps que moi, ce nouvel univers. En temps réel. C'est ça, 2018, non ? L'instantané. Mais si tu embarques, faut que tu sois averti : y'aura pas de filtre. Pas de Photoshop, pas de mise en scène. Juste des portes qui s'ouvrent sur un monde où on pense que ça va sentir la mort mais où, mon nouvel ami, c'est lumineux et ça grouille de vie. »

Johanne, Dominique et Anick n'ont pas trouvé le remède qui guérit le cancer. Mais par leurs écrits, leurs paroles, leur franchise et leur courage, elles nous ont aidés à apprivoiser Igor et à comprendre que ce n'est pas parce que la mort rôde qu'il n'y a pas d'espoir et de vie.