Le ciel était sans étoiles, une nappe d'ombre rendue laiteuse par les bancs de nuages au repos et résolus à y rester. L'air était doux. Pas trop chaud. Ni trop frais. Juste parfait. Et à 21h07, comme prévu, comme promis, l'orchestre dirigé par Simon Leclerc a résonné comme un coup de tonnerre dans la nuit étonnamment silencieuse.

La foule massée au pied de la montagne était nombreuse, mais il n'y avait pas d'agitation dans l'air. Pas de tension nerveuse. Pas d'euphorie imbibée d'alcool. Que du calme et du recueillement pour ce Montréal symphonique offert en cadeau aux Montréalais par les organisateurs du 375e anniversaire et né dans l'esprit du producteur Nicolas Lemieux, qui peut se féliciter d'avoir réussi un véritable tour de force et de l'avoir réussi avec brio.

Le grand cadeau, ce soir-là, c'était d'abord et avant tout la musique. La musique portée par la puissance combinée de trois orchestres et réunissant sur la vaste scène plus de 300 musiciens issus de l'Orchestre symphonique de Montréal (OSM), de l'Orchestre métropolitain et de l'Orchestre symphonique de McGill. L'autre cadeau, c'était le mont Royal, cette montagne presque maternelle, déposée au coeur de la ville et que les foules trop nombreuses ne sont plus invitées à fouler depuis les fêtes des années 70.

Je me souviens encore de la fête de la Saint-Jean de Lise Payette sur la montagne en 1975. J'y étais avec mon calepin et ma fleur de lys tatouée sur le coeur. L'année suivante, j'y suis retournée pour voir le spectacle 1 fois 5, quand la Saint-Jean n'était pas encore une fête nationale et que les femmes artistes n'étaient pas encore admises au rang des grands. Et je peux vous assurer que ces deux évènements n'avaient rien à voir avec ce qui s'est passé samedi soir. Que Montréal a beaucoup, énormément, changé depuis. Que son visage est plus bigarré que dans ces années-là. Qu'on ne fait plus de politique comme on en faisait autrefois. Que le français y est encore très présent, mais qu'il se mêle maintenant sans hargne et sans complexe à l'anglais et à une multitude d'accents.

D'ailleurs, le choix des artistes invités à Montréal symphonique en disait long sur le phénomène. Aux artistes québécois pure laine comme Daniel Bélanger, Pierre Lapointe, Isabelle Boulay et Béatrice Martin se sont mêlés la belle princesse inuite Elisapie Isaac, le Sénégalais ILAM, les chanteurs d'origine haïtienne Marie-Josée Lord, Mélanie Renaud et Wyclef Jean ainsi qu'une imposante délégation du Mile End anglo constituée de Patrick Watson et du clan McGarrigle.

Dans les années 70, ce mélange de voix, de cultures, d'accents et de différences n'aurait jamais été possible ni envisageable. Aujourd'hui, il l'est, et c'est tant mieux.

Certains diront que l'on a peut-être fait une trop grande place à Rufus, à Martha et au clan McGarrigle-Wainwright.

C'est vrai qu'ils ont chanté plus longtemps et plus souvent que les autres artistes comme les Lapointe ou Boulay, invités à faire leur petit tour et à s'en aller. En même temps, les soeurs McGarrigle et leurs enfants, Rufus et Martha, sont intimement et intrinsèquement liés à Montréal, par leurs chansons et leurs voix à nulle autre pareilles. La soirée n'aurait pas été la même sans que ne résonne Complainte pour Ste-Catherine ou encore Hallelujah, le classique de Leonard Cohen, interprété avec un surplus d'âme par Rufus.

C'est vrai aussi qu'un peu plus de DJ Champion, d'ILAM et de tam-tams aurait été apprécié. Que par moments, ce Montréal symphonique, rebaptisé à la blague Montréal Simonique par Monique Giroux, qui en signait la mise en scène, manquait de rythme et de direction. Qu'il aurait eu avantage à groover et à rocker un peu plus.

Mais Montréal a l'occasion de groover et de rocker tous les jours de l'année, alors Montréal pouvait bien, pour un samedi soir d'été, découvrir une autre facette de la musique et s'y abandonner. Il y avait d'ailleurs quelque chose de mystique, de spirituel et de romantique dans l'air.

Face à ce mur du son qu'aucun animateur, présentateur ou humoriste n'est venu troubler, l'heure était à l'écoute, au recueillement, à la contemplation.

Et quand une Diane Dufresne, particulièrement en voix ce soir-là, s'est avancée sur scène pour entonner Ne tuons pas la beauté du monde, c'était difficile de ne pas penser aux évènements des derniers jours, aussi bien les intolérances intolérables de Charlottesville que le carnage de Barcelone. D'y penser tout en se disant que même si le monde semble à feu et à sang, il y a encore des endroits sur terre où 80 000 personnes (plus 30 000 dans les arrondissements) peuvent se rassembler paisiblement au pied d'une montagne et communier au son d'une même musique. Des soirs comme ceux-là, on a le sentiment que Montréal est une ville un peu magique et que malgré tous les obstacles et irritants qu'on y rencontre, y vivre est une bénédiction.