À North Hatley, c'est l'événement de l'été, voire de l'année. Je parle bien entendu des vacances entreprises dimanche de Bill, Hillary et Chelsea Clinton au Manoir Hovey, sur les berges du lac Massawippi. Pas n'importe quel lac, non monsieur ! Une étendue d'eau presque pure, de fonds abyssaux et de monstres mythiques, et surtout un lac au bord duquel j'ai le bonheur de passer tous mes étés depuis un quart de siècle.

Or, malgré toute l'affection que je porte à ce lac et à ce coin de pays, je suis toujours un peu étonnée d'y voir débarquer les puissants de la terre, comme les Clinton ou encore l'ex-président Jacques Chirac qui, en 2003, s'était installé pendant trois longues semaines dans une charmante maison attenante à l'auberge Hatley, qui a depuis brûlé.

Peut-être que je me fais des illusions sur les puissants de ce monde et qu'ils sont en fin de compte plus simples et modestes qu'ils n'y paraissent. N'empêche. Lorsqu'on est aussi fortuné que Bill et Hillary et qu'on n'a qu'à fermer les yeux devant une mappemonde et mettre le doigt sur n'importe quel paradis exotique ou destination exclusive pour y être aussitôt invité, pourquoi diable se contenter de North Hatley?

Non pas que le coin manque de charme, tant s'en faut. J'en sais quelque chose, mais je sais aussi que ce lac que j'adore n'est quand même pas la septième merveille du monde.

Certains diront qu'à force de fréquenter le lac Massawippi, j'ai fini par ne plus voir sa magie et qu'au fond, ce qui est étonnant, ce n'est pas que Bill et Hillary y passent la semaine, mais qu'il n'y en ait pas plus comme eux qui viennent y faire un tour. Sans doute.

Reste que depuis dimanche, ce n'est ni la magie ni la beauté sauvage du lac Massawippi qui attire les regards, mais la possibilité d'apercevoir le couple Clinton avec sa fille et ses petits-enfants. 

J'avoue que j'ai succombé à la tentation, dimanche. Planquée chez des amis qui habitent tout près, les longues-vues bien en main, je scrutais le ciel dans l'espoir d'y apercevoir l'hélico qui aurait dû normalement déposer les Clinton à deux kilomètres du Hovey. Et puis, subitement, de l'autre côté du boisé qui jouxte la propriété de mes amis, j'ai vu s'avancer dans l'allée de la maison voisine un minibus noir suivi d'un convoi de bagnoles noires aux vitres teintées. 

À travers le feuillage, je ne voyais que des silhouettes un peu floues, mais j'ai distinctement entendu le rire aigu et vaguement survolté d'Hillary fendre l'air, suivi par les voix excitées de ses petits-enfants. J'ai voulu m'approcher, mais un chevreuil ayant surgi subrepticement et venu lui aussi respirer le même air que les Clinton m'a fait battre en retraite.

Les Clinton, en ai-je déduit, ne restent pas au Manoir, dont toutes les chambres sont occupées par des agents de sécurité, ni dans la Dragon Watch House. Ils demeurent dans les suites Tree Tops et Vista, qui sont, en fin de compte, des maisons privées transformées en suites hôtelières avec leur propre piscine et une vue imprenable qui leur permet d'admirer le lac sans être vus. Chaque suite se détaille environ 800 $ la nuit, ce qui n'est quand même pas la mer à boire quand on pense aux suites à 20 000 $ la nuit à Dubaï.

L'auteure Louise Penny a annoncé par communiqué que c'est elle qui avait invité les Clinton. J'en ai déduit - peut-être un peu vite - qu'elle les avait invités à ses frais. Chez Flammarion, on a refusé de confirmer ce détail, sans doute trop mercantile. Peu importe, ce qu'il faut savoir à ce sujet, c'est que Louise Penny a une longue et fructueuse relation avec le Manoir Hovey. L'hôtel est pour ainsi dire le personnage central de son roman Défense de tuer (A Rule Against Murder), paru chez nous en janvier 2012.

Dans cet établissement rebaptisé le Manoir Bellechasse, l'inspecteur Armand Gamache célèbre comme chaque année son anniversaire de mariage lorsqu'un meurtre le force à retenir en captivité tous les clients de l'hôtel, devenus des suspects potentiels. À l'instar de son inspecteur préféré, Louise Penny s'est mariée au Manoir Hovey et y fêtait tous ses anniversaires de mariage jusqu'à la mort de son conjoint, l'an passé.

Sur le site officiel des Cantons-de-l'Est, le bureau de tourisme de la région offre aux internautes la possibilité de gagner un séjour au Manoir, précisant que c'est le lieu d'inspiration des romans de Louise Penny. Quant au site Tripadvisor, il annonce que le Manoir Hovey est un must pour tous les fans de l'auteure.

À l'évidence, il y a autant un lien d'affection que d'affaires entre Louise Penny et un manoir où débarquent régulièrement ses fans.

On l'oublie souvent, mais les fans de Louise Penny se comptent par millions. Mais aucun d'entre eux n'est aussi connu qu'une certaine Hillary Clinton qui, dernièrement, dans ses entrevues sur ses lectures d'été, a cité plusieurs titres de Louise Penny, comme A Great Reckoning, The Cruelest Month et The Brutal Telling, avouant qu'elle dévorait les polars de Penny. Comme publicité gratuite (mais qui vaut néanmoins des millions), on a rarement vu mieux de la part de celle qui a failli devenir la première présidente des États-Unis. Ses bons mots ainsi que la lettre de condoléances qu'elle a fait parvenir à Louise Penny à la suite de la mort de son mari sont des raisons suffisantes pour que l'auteure invite à ses frais Hillary et toute sa suite. J'espère que c'est le cas.

Ayant terminé mes vacances au moment où les Clinton commencent les leurs, je ne pourrai malheureusement pas suivre leurs allées et venues au bord du lac Massawippi. J'ai entendu à travers les branches que Bill avait envie de sortir et de voir du monde. Qu'il irait jouer au golf sur deux terrains privés de la région et qu'il célébrerait son 71e anniversaire samedi soir.

Pour le reste, j'attends un rapport complet du chevreuil qui m'a chassée de mon poste d'observation. Ma main au feu qu'il n'aura rien de croustillant à raconter, sinon les vacances paisibles d'une famille presque comme les autres, au bord du lac Massawippi.