La semaine dernière à Montréal, l'ex-président Obama nous a invités à nous accrocher à l'espoir et à ne jamais céder à la peur. La peur, selon lui, fragilise la démocratie et ouvre la porte au doute. C'est dans la brèche creusée par le doute que ceux qu'il appelle les hommes forts - une formule polie pour décrire les dictateurs et les tyrans - s'immiscent et détournent nos démocraties.

Sages paroles que celles de M. Obama. Pas galvanisantes, mais sages et débordantes de bon sens. En l'entendant les prononcer, j'ai pensé à la cinquième saison de House of Cards, que je venais tout juste de terminer. J'ai surtout pensé au diabolique et fictif président Frank Underwood, qui, dès les premiers épisodes de cette nouvelle saison, décide d'utiliser la peur comme arme de contrôle massif. «Ici, dans mon administration, nous ne combattons pas la peur, dit Underwood. Nous la créons.»

Terribles paroles que les siennes, mais si pleines de vérité, au moins en ce qui concerne une administration : celle de Donald Trump, qui a en partie gagné l'élection présidentielle en capitalisant sur la peur de l'Autre.

La tentation ces jours-ci est de faire un amalgame facile et rapide entre Donald Trump et Frank Underwood, le second étant l'incarnation fictive du premier. Or devinez quoi? Il n'y a pas d'amalgame qui tienne avec cette cinquième saison qui, à mon avis, ne se classe pas parmi les meilleures. Pour être franche, c'est la première fois en cinq ans que je trouve House of Cards complètement dépassée, voire déconnectée des réalités politiques actuelles.

Ne vous inquiétez pas, je ne vous révélerai rien qui risque de gâcher votre plaisir si vous n'avez pas encore plongé dans la série qui a contribué grandement à mettre Netflix «sur la mappe».

Je ne vous révélerai rien, sinon qu'à l'instar des analystes et des politologues du monde entier, les scénaristes de la série sont complètement passés à côté du phénomène Trump. Ils n'ont rien vu venir, rien deviné et rien esquissé dans leur récit qui puisse même suggérer l'avènement d'un démagogue et fou furieux à la Donald Trump.

Et même si les scénaristes ont l'excuse d'avoir écrit leurs épisodes bien avant l'élection de Trump, le résultat pour le spectateur est un sentiment de décalage et de déconnexion gênant par rapport à la réalité.

Le facteur qui contribue le plus à cette impression, c'est la personnalité même de Frank Underwood qui est l'antithèse de Donald Trump.

Frank est un politicien aguerri, un politicien professionnel qui connaît tous les rouages de la machine et qui en abuse joyeusement. Il parle une langue recherchée et n'a jamais tweeté de sa vie. Sa femme Claire Underwood n'a rien de l'ex-mannequin slovène au regard bovin. C'est une reine de glace doublée d'une Lady Macbeth 2.0 aussi assoiffée de pouvoir que lui.

Bref, House of Cards nous convie dans une Maison-Blanche qui n'a aucun rapport, ni de près ni de loin, avec la réalité actuelle et qui finit par ne pas être à la hauteur des scandales et des absurdes tourments dans lesquels l'administration Trump nous plonge quotidiennement.

Pour la première fois depuis sa création, House of Cards est en retard d'une révolution, si tant est que l'on puisse qualifier Trump de révolutionnaire.

Par moments, et ça me désole de l'écrire, la cinquième saison est même d'un ennui mortel. À telle enseigne qu'après le huitième et le neuvième épisode, j'ai failli carrément abandonner. J'en avais ras le bol de voir Frank et Claire se perdre en interminables conciliabules et en stratégies stériles, inertes et captifs dans un décor en forme de prison. 

À croire que ces deux-là ne mangent jamais, ne sortent jamais et ne respirent rien d'autre que l'air raréfié d'un bureau Ovale aux rideaux perpétuellement tirés.

Et puis, à partir du dixième épisode, surprise! On sort enfin de l'univers concentrationnaire grâce au talent de la cinéaste polonaise Agnieszka Holland, qui avait déjà réalisé deux épisodes de House of Cards en 2015 et qui, cette fois, injecte une dose de dynamisme devenue douloureusement nécessaire. Sous sa direction, on respire enfin, on retrouve la ville la nuit, on retrouve la vie, en somme, et on en retire un grand soulagement. Quant aux deux derniers épisodes de la saison, la réalisation en a été confiée à nulle autre que Claire Underwood, l'actrice Robin Wright.

Ce sont des épisodes intenses dont on ne peut révéler l'intrigue ni la fin, choquante à souhait. Reste que ce qui m'a le plus frappée, c'est cette scène où le président se beurre tout bonnement une vulgaire toast. C'est un détail qui semble anodin, mais qui ne l'est pas tant que ça. De la même manière que le doute ouvre une brèche dans la démocratie, ce détail volé à la banalité du quotidien ouvre une fenêtre sur la vie et donne un semblant d'oxygène à un personnage de moins en moins crédible parce que de plus en plus décalé de la réalité.

Bien franchement, en terminant la cinquième saison de House of Cards, j'ai senti une grande lassitude me gagner. Pas au point de renoncer à suivre la sixième saison, mais sans non plus fonder d'espoir sur la suite. Preuve que Barack Obama avait bien raison : quand le doute s'installe, l'espoir fout le camp.