On nous a dit que la musique québécoise était en crise. Que les artistes d'ici étaient largement défavorisés et n'existaient pratiquement pas sur les plateformes d'écoute en continu comme Spotify. Que les Louis-Jean Cormier et les Ariane Moffatt allaient perdre de plus en plus d'argent, malgré leur grande visibilité. Qu'ils seraient bientôt avalés tout rond par les Lady Gaga et Beyoncé de ce monde, puis littéralement laminés par le rouleau compresseur de l'écoute en continu.

On nous a dit bien des choses. C'est pourquoi, dans les circonstances, je m'attendais à un 38e Gala de l'ADISQ fébrile, combatif et prêt à partir en guerre pour venger les artistes d'ici de l'injustice numérique et pour défendre la réputation, la valeur et la survie de la musique québécoise. Je m'attendais à un feu d'artifice de talents, nouveaux et fulgurants, qui feraient la preuve que la musique québécoise n'a rien à envier aux autres musiques du monde et que même si elle se décline en français, elle est au diapason de l'ensemble de la musique contemporaine de la planète.

Me suis-je trompée? C'est, en tout cas, le doute qui m'a assaillie en découvrant la nouvelle sensation de l'heure, ces sympathiques deux frères de Chapais, tout droit sortis des années 80, dont le folk-rock, tendance granole, a fait tinter les caisses enregistreuses du Québec 80 000 fois depuis sa sortie. Nous autres est en effet le CD que les Québécois ont le plus écouté cette année. Nous autres: beau titre rassembleur pour nous autres, mais certainement pas pour eux autres, mais ça, c'est une autre histoire.

Toujours est-il que tout au long de cette morose soirée de gala, j'ai eu la désagréable impression que la musique québécoise n'avait pas évolué depuis 20 ans - depuis Les Cowboys Fringants, en somme -, qu'elle était figée dans le temps, s'étant enlisée dans le folk-rock, plus folk que rock, pour ne pas dire le trad consensuel des barbus buveurs de bière et des éleveurs de cochons.

Comment se fait-il qu'en 2016, nous en soyons encore à gratter nos guitares devant le feu de camp? 

Comment se fait-il que nous ne soyons pas encore arrivés en ville ou que ceux qui sont arrivés en ville et qui produisent une musique urbaine moderne de son temps sont ignorés et passés sous silence à la faveur de groupes comme 2Frères? Comment se fait-il que la seule recette musicale qui semble marcher ici, ce soit celle dans la vieille veine de Kaïn, La Chicane, Noir Silence, Les Cowboys Fringants, Mes aïeux et maintenant 2Frères? Pensons-nous vraiment que c'est avec cette musique-là que le Québec va faire la révolution et se tailler une place de choix sur Spotify?

Permettez-moi d'en douter.

Peu d'innovation

Pourtant, ce n'est pas comme si, culturellement, le Québec était en retard sur le reste du monde. Après tout, c'est ici qu'est né le Cirque du Soleil, un cirque qui a révolutionné l'art du cirque. Ici aussi que sont nés les Xavier Dolan, Robert Lepage, Yannick Nézet-Séguin, Marie Chouinard, Charles Richard-Hamelin, tous des précurseurs et des champions dans leur domaine. 

Pourquoi innovons-nous en cirque, en théâtre, en danse, en multimédia, en cinéma, mais pas ou rarement en musique?

Cette question a été douloureusement ravivée par un gala sans âme, sans impétuosité, presque satisfait de lui-même et visiblement peu conscient de l'urgence de la situation. Et que dire de Céline, la reine de la soirée? Que dire sinon qu'elle portait une robe magnifique, qu'elle a chanté admirablement bien et avec dignité, mais que dans les circonstances - les circonstances étant la célébration de la musique québécoise -, elle aurait pu avoir l'élégance ou la délicatesse de choisir une chanson du répertoire québécois. En choisissant Léo Ferré plutôt que Félix, Vigneault ou Ferland, que nous disait-elle, dans le fond? Que les chansons québécoises sont bien sympathiques, mais que pour les vrais, grands classiques, il faut aller voir ailleurs. Et malheureusement, dimanche soir à l'ADISQ, on lui a en partie donné raison.