J'ai rencontré Mariana Mazza l'an passé à pareille date. Elle était en pleine écriture de son premier one woman show, Femme ta gueule, qu'elle a rodé tout l'été.

Je me souviens des tatouages stylisés sur ses bras nus, de sa toque de cheveux en tirebouchon et du fait qu'elle parlait vite et fort, disait tout et son contraire et partait dans toutes les directions sans toujours revenir à son point de départ.

« Être une femme et prendre la parole sur un stage, laissez-moi vous dire que c'est un estie de gros statement », m'avait-elle balancé avec passion, consciente du poids du geste qu'elle s'apprêtait à faire et qui allait sans doute changer sa vie.

À l'époque, je n'étais pas convaincue qu'elle arriverait à monter un spectacle fort et cohérent qui l'imposerait comme une humoriste marquante, peut-être parce que je la trouvais trop éparpillée, trop agitée, trop tout, en fait.

J'ai changé d'avis depuis, ayant vu son spectacle et surtout ayant été littéralement renversée par son aplomb sur scène, par sa présence, son charisme et la qualité indéniable de ses propos, à la fois crus, drôles, tranchants et profonds.

J'ai retrouvé Mariana cette semaine. Elle m'attendait dans l'entrée de la rédaction, le regard vissé à son téléphone où défilaient les millions de courriels envoyés par des fans qui l'aiment d'amour et par quelques petits farceurs dont elle règle le sort avec un sens de la répartie dévastateur, en spectacle.

- Salut, Mariana, comment tu vas ?

Question inutile, puisqu'au cours des 10 derniers mois, Mariana a connu un succès aussi étonnant qu'éclatant. Non seulement toutes les salles où elle rodait son spectacle étaient archipleines, mais il a aussi fallu ajouter des supplémentaires un peu partout. À ce jour, elle a déjà vendu plus de 60 000 billets, et ce, même avant sa grande première montréalaise le 9 novembre au St-Denis. Mariana est tellement hot qu'elle a été sollicitée pour tourner dans les suites de deux importantes comédies québécoises - Bon Cop, Bad Cop et De père en flic - avant d'être repêchée par VRAK, par Les pêcheurs et par PaparaGilles sur ARTV.

Après une séance de photo qui a duré à peine quelques minutes, nous nous sommes installées sur les tabourets de la mezzanine de la rédaction. Mariana est accompagnée de son attachée de presse qu'elle a consultée régulièrement pour vérifier si elle ne proférait pas trop d'énormités qui la mettraient dans l'embarras.

Premier changement : Mariana sait qu'elle parle trop et tâche maintenant de mieux endiguer le flot impétueux de ses paroles. Deuxième changement : elle ne parle plus aussi fort qu'avant et elle écoute. Parfois.

Nous voilà maintenant assises l'une en face de l'autre. Je reformule ma question : 

Dis-moi, Mariana, comment gères-tu tout ce succès qui t'est tombé dessus subitement ?

Je le gère en consultant ma psy toutes les semaines. Parce que c'est formidable, tout ce qui m'arrive, mais ça vient avec une pression énorme, que je me crée moi-même, évidemment. En parler avec la psy me fait du bien. Je rentre dans nos séances sur le cul et anxieuse et j'en ressors pleine d'énergie, comme si j'étais allée m'entraîner, ce que je fais aussi quatre fois par semaine.

Tu consultes, toi ? La fille qui n'a peur de rien ? Toi, la grande gueule et la baveuse devant l'Éternel ?

T'oublies que j'ai juste 26 ans et que c'est pas facile à mon âge de connaître le succès, d'être populaire, de faire de l'argent. Je veux dire, je ne me plains pas : je viens de m'acheter un condo, un char de l'année. Ma vie en ce moment est tellement cool... En même temps, c'est terrifiant. Parce que je veux être à la hauteur et qu'il n'y a pas un soir où je ne rentre pas sur scène en me demandant : "Et si je me cassais la gueule ?" En même temps, dès que je mets le pied sur scène, je suis inébranlable.

Tu as beaucoup changé depuis l'an passé, non ?

Dans ce métier-là, j'ai compris qu'il y avait trois stades. Au premier stade, tu dois te faire remarquer pour que le monde sache que tu existes. Au deuxième stade, tu te retrouves un peu sur la défensive parce que le regard des autres est sur toi et que t'es pas habituée à ça, ce qui explique un peu mon énervement l'an passé. Au troisième stade, t'as pris ta place et tout ce qu'il te reste à faire, c'est de t'y maintenir. C'est là où je suis rendue. J'ai passé la douane.

Si tu étais chanteuse et non humoriste, tu serais qui ou quoi ?

Je serais de la bonne pop. Comme Lady Gaga. Excentrique mais accessible.

Sur le plan de l'humour, tu me fais penser à une Amy Schumer made in Québec.

J'adore Amy Schumer, Sarah Silverman : toutes ces filles drôles qui dérangent m'inspirent. D'ailleurs, Amy est au Centre Bell le même soir que moi au St-Denis [Mariana Mazza donne quatre représentations au St-Denis]. La différence, c'est qu'Amy est plus crue, plus « fuck you » que moi, plus rebelle aussi. Amy parle beaucoup des baises de marde qu'elle a vécues. Moi, en bonne Québécoise, je dois lubrifier mes mots et mes blagues avant de les balancer au public. Mon spectacle est classé pour les 16 ans et plus, mais c'est pour éviter les poursuites. En réalité, il y a des ados et des préados de 12-13 ans dans toutes mes salles. Et c'est tant mieux.

Pourquoi tant mieux ?

Parce que mon show, c'est pas juste un show d'humour. Y a un propos, une progression, une démarche. Je pense que parfois, je change la vie des gens ou, du moins, j'ouvre une discussion, sur la masturbation par exemple. Tout le monde se masturbe, mais pourquoi on n'en parle jamais, hein ? Et puis les filles, pourquoi elles se sentent toutes obligées de faire une fellation quand le gars le demande ? Moi, je leur dis qu'elles ont le droit de ne pas aimer ça et de refuser. C'est quoi, cette affaire-là qu'on est obligées ?

Dans le fond, tu fais de l'empowerment, un terme qui n'a pas d'équivalent en français.

Dans un monde idéal, toutes les filles seraient des superwomans. Ce n'est pas toujours le cas, mais je crois que les mots ont le pouvoir de donner du pouvoir. Quand je parle de mes complexes, de mes poils - je suis poilue comme ça ne se peut plus à cause de mon niveau élevé de testostérone -, je sais que ça fait du bien à un paquet de filles qui capotent sur leurs poils ou leur poids. Je ne sauve pas des vies, c'est sûr, mais je sauve des moments. Je sais que les gens arrivent à mon show, certains avec leurs deuils, leurs déceptions ou simplement leur journée de marde, et je sais que je leur fais du bien à l'âme.

C'est une vraie mission que tu t'es donnée ?

J'aime le combat et je veux mener mes petits combats à moi. Je sais aussi que je suis bonne et tant pis si on n'a pas le droit de se valoriser, je le fais pareil. Fuck that shit ! Je sais aussi que je vais toujours avoir une carrière, mais est-ce que je vais continuer à surprendre et surtout est-ce que je vais vouloir continuer à m'exposer autant que je le fais maintenant ? Ça, bien franchement, je ne le sais pas.

Mariana consulte son attachée de presse une dernière fois pour s'assurer qu'elle n'a pas dit une autre énormité qui va lui retomber dessus et lui faire de la mauvaise publicité. L'attachée de presse hoche de la tête, confirmant que tout ce que Mariana a dit est publiable. Mariana se lève. Je regarde cette boule d'énergie, d'aplomb et d'intelligence de 26 ans s'éloigner, en sachant qu'elle n'a peut-être pas réponse à toutes ses questions, mais qu'elle n'a pas à craindre pour la suite des choses.

Au Théâtre St-Denis du 9 au 12 novembre et en tournée dans tout le Québec.