Nous l'avons tous oublié, et peut-être avions-nous raison, mais il y a déjà eu des compétitions artistiques aux Jeux olympiques. Sans blague. Entre 1912 et 1948, mêlés aux sauteurs, aux gymnastes, aux plongeurs et aux nageuses synchronisées, des musiciens, des sculpteurs, des peintres, des écrivains et des architectes ont joué de leurs muscles créateurs pour battre leurs rivaux à coups de pinceaux, de glaise ou de pas de danse, et vu leurs efforts récompensés d'une médaille d'or, d'argent ou de bronze.

En tout, il y aurait eu, au fil des ans, quelque 146 champions olympiques artistiques dont - tenez-vous bien - Pierre de Coubertin lui-même, qui, en 1912 aux Jeux de Stockholm, a soumis, sous le double pseudonyme de Georges Hohrod et Martin Eschbach, un poème bêtement intitulé Ode au sport, dont voici quelques éloquentes bribes: «Ô sport, plaisir des dieux, ô sport tu es la beauté, ô sport, tu es la Fécondité, tu tends, par des voies directes et nobles, au perfectionnement de la race en détruisant les germes morbides et en redressant les tares qui la menacent dans sa pureté nécessaire.»

Incroyable mais vrai, le baron épris de pureté a remporté la médaille d'or pour ce torchon à saveur eugénique!

Après les Jeux de 1948, le Comité olympique a reconnu que cette compétition artistique compliquée à organiser et dont les artistes participants devenaient de plus en plus commerçants n'était pas l'idée du siècle et l'a abolie pour de bon. Qui aurait cru que 70 ans plus tard, cette discipline olympique renaîtrait à Montréal? 

Certainement pas ce brave baron de Coubertin, ni personne d'autre. Pourtant, c'est non seulement un fait, c'est un fait accompli, financé à hauteur de 6,5 millions par la Ville de Montréal.

Les International ArtsGames, un projet piloté et présidé par Sylvia Sweeney, a son siège social au 800, boulevard de Maisonneuve Est, à Montréal, et un site internet où brille une équipe issue du monde entier et en grande majorité anglophone. On est international ou on ne l'est pas, et quand on l'est, même à Montréal, on est rarement francophone.

Dès août 2017, les premières épreuves de qualification vont avoir lieu à Montréal en prévision des Jeux olympiques de Pyeongchang, en Corée du Sud. L'exercice se répétera tous les deux ans à Montréal, tandis que les épreuves olympiques auront lieu, comme de raison, dans les villes olympiques du moment. Que penser de tout cela? Du bon et du moins bon.

Le bon, c'est que Montréal a littéralement ravi cet événement à Toronto, où l'idée est née il y a environ 20 ans: née dans l'esprit de Sylvia Sweeney, ex-athlète olympique et nièce du grand pianiste de jazz Oscar Peterson.

Dès le début des années 90, Sweeney, une Montréalaise vivant à Toronto, a fait du lobbying auprès du Comité international olympique (CIO) afin de faire reconnaître la discipline artistique, imitant en cela les lobbyistes du surf, de l'escalade ou de la planche à roulettes, qui visaient eux aussi une accréditation. Sylvia a si bien fait que le CIO a fini par obtempérer. Huit villes - dont Toronto - étaient en lice pour obtenir le siège social de cette nouvelle (vieille) discipline, et Montréal les a coiffées au fil d'arrivée. Bravo!

Que penser de plus? Que cette idée d'une ultime compétition liée aux milliers de fédérations internationales artistiques - structurées comme des fédérations sportives - et à leurs milliers de concours (de piano, de violon, de danse à claquettes, de flamenco et de pipeau) saura possiblement fédérer le monde des arts et surtout lui donner une aussi grande visibilité que les événements sportifs, ce qui ne serait pas de refus.

Reste que si le passé est garant de l'avenir et qu'un poème pompeux et eugéniste comme Ode au sport peut remporter une médaille d'or, on peut se poser de sérieuses questions sur les futurs médaillés des arts olympiques.

Devront-ils eux aussi produire des oeuvres célébrant la pureté de la race ou alors peindre des tableaux figuratifs mettant en vedette des athlètes musclés et malheureux comme des pierres (façon Bruce Jenner), ou encore des scènes célébrant l'hygiène sportive?

Devront-ils pratiquer un art académique, décoratif, parfait dans les formes mais tiède, terne et peu compromettant afin de ne pas mettre les officiels olympiques ni les gouvernements dans l'embarras?

Peter Howlett, le président du C.A., également président de Portage, m'assure que les juges triés sur le volet seront justes, impartiaux et peu enclins à récompenser un art à forte saveur soviétique ou eugéniste. Il m'assure aussi qu'il n'y aura pas de mélange des genres et que les pianistes concourront contre les pianistes et les danseurs à claquettes contre les danseurs à claquettes. 

Évidemment, si toutes les disciplines artistiques pouvaient ressembler au 800 m, ça serait plus facile. Le premier qui franchit la ligne d'arrivée gagne la course, sans céder un pouce à la subjectivité d'un juge mal luné ou payé en pots-de-vin. Mais l'art n'est pas un 800 m. Ce n'est pas le plus rapide qui gagne. C'est le plus doué, mais comment en juger? C'est la difficile et délicate question que les organisateurs des Jeux olympiques de l'art vont devoir résoudre. Et si possible en éliminant d'office des poèmes pompeux qui commencent par un «Ô» ronflant et douteux.