Tout le monde est pour la diversité comme tout le monde est pour la vertu. Mais qui est prêt à passer de la parole aux actes? Qui a envie de ne pas se contenter d'entonner joyeusement le mot «diversité» sans ressentir le besoin ou la nécessité de l'appliquer concrètement? Qui pense que le dire suffit?

Si je me fie aux analyses de mes camarades aux Arts, qui ont sondé le milieu de la télé comme celui du théâtre montréalais, la diversité est une belle idée, voire un grand idéal qui, au contact de l'air ambiant, explose comme une bulle de savon.

Dans les séries dramatiques québécoises, les visages continuent d'être majoritairement blancs, les acteurs issus de la diversité représentant à peine 5 % des distributions. En passant, ce pourcentage, calculé par La Presse il y a deux ans, est le même deux ans plus tard.

Ce qui a changé, du moins à la télé publique, c'est qu'on a créé un poste officiel avec un nom impressionnant: directeur responsable de la représentation de la diversité culturelle à la télévision de Radio-Canada.

Ce poste remplace celui de la chef de la diversité à l'antenne, qui n'avait pas exactement le même mandat, mais peu importe.

En nommant un directeur responsable de la diversité, on signale au bon peuple qu'on prend la diversité au sérieux, que la diversité, on s'en occupe. La preuve: on a mis un homme là-dessus.

Sans présumer du travail de Luc Simard, qui vient à peine d'être nommé à ce poste, j'espère qu'il fera mieux que, disons, Francine Charbonneau, la ministre responsable de la Lutte contre l'intimidation, nommée en 2014 par un premier ministre qui jurait que la lutte contre l'intimidation serait la priorité de son gouvernement.

Cette semaine, à la première du film 1:54 de Yan England, présenté en grande pompe au Festival de cinéma de la ville de Québec en présence du premier ministre lui-même, la ministre Charbonneau a répété à quel point la lutte contre l'intimidation était capitale et à quel point le film de Yan England était important.

Elle a seulement oublié de mentionner que son gouvernement, pour qui la lutte contre l'intimidation était siiii prioritaire, a refusé, par l'entremise de sa société d'État, la SODEC, de financer le film - et trois fois plutôt qu'une.

Pourquoi passer aux actes, quand en parler suffit?

Au dernier recensement (qui date de 2011), la population blanche du Québec représentait 87,2 % de la population et la totalité des minorités culturelles, noirs, arabes, latinos et autochtones confondus, 11 %. C'est donc dire que le Québec demeure une société majoritairement blanche.

Pour que la télé québécoise soit le reflet fidèle de sa société, il suffirait au fond de peu - 6 % de plus - pour que les visages de la diversité occupent la place qui leur revient à l'écran.

On pourrait ajouter une demi-douzaine d'acteurs de la diversité à L'Auberge du chien noir, une émission qui fait grimper à elle seule les pourcentages de la diversité, et le tour serait joué.

Sauf que même en atteignant cette proportion de 11 %, le problème ne serait pas réglé pour autant. Encore faut-il qu'au-delà des visages, la diversité s'exprime à travers des auteurs, des réalisateurs, des réalisatrices, des producteurs, et surtout des histoires différentes.

Or, pour l'instant, à ce chapitre, la télé québécoise est en retard sur la plupart des sociétés anglo-saxonnes, qu'elles soient britannique, américaine ou canadienne.

J'aurais aimé que le théâtre québécois, cet art de la prise de parole, qui est par définition un art progressif, soit plus ouvert et inclusif que la télévision. Mais ce sera pour une prochaine fois: les visages sur les scènes à Montréal sont en majorité blancs - à l'image des visages dans la salle, nous disent les directeurs de théâtre.

C'est vrai. Mais à ce compte-là, si la scène doit être le reflet de la salle, alors les textes et les mises en scène devraient être signés à 80 % par des femmes, car ce sont les femmes qui remplissent les théâtres. Mais subitement, l'équation ne tient plus. Dans les théâtres de Montréal, 65 % des textes et 60 % des mises en scène sont signés par des hommes. Comme disent les Chinois, les vieilles habitudes meurent lentement.

Ceux qui prêchent pour une meilleure ou une plus grande diversité sur les scènes de Montréal, une ville où le pourcentage de minorités culturelles grimpe à 20 %, ne demandent pourtant pas la mer à boire. Ils ne demandent même pas l'égalité. Simplement que ce qui se passe sur scène ne soit pas la totale négation de la réalité de la rue.

Rome ne s'est pas bâtie en un jour, c'est vrai. Sans doute que d'ici une décennie, les visages de la télévision et du théâtre auront passablement changé et seront plus ouverts à la diversité des couleurs et des accents, plus ouverts à l'Autre, en somme.

En attendant, la diversité va devoir patienter et espérer que la bulle de savon de son idéal devienne un jour un beau gros ballon s'élevant dans un ciel sans limites.