C'était au début des années 80, en pleine déprime postréférendaire. J'étais encore jeune et idéaliste et le reportage que je venais de signer portait sur les artistes et chanteurs de l'époque : les Fiori-Séguin, Jim et Bertrand, Beau Dommage et compagnie. Le titre du reportage n'était pas très flatteur : « Les enfants de la révolution endormie ». Endormie parce que j'estimais que ces artistes qui donnaient maintenant tous dans la chanson intimiste et introspective après avoir chanté la révolte et l'engagement s'étaient en quelque sorte endormis dans leur nombril.

C'était le début des années 80 et je pleurais déjà la fin de la chanson engagée, nostalgique des années de plomb où un artiste n'était pas un artiste s'il n'était pas un artiste engagé et drapé dans le fleurdelisé. Où une chanson ne valait pas le détour s'il n'y avait pas quelque part dans un couplet le mot « pays », suivi si possible du mot « Québec ».

Nous sommes 36 ans plus tard, je ne suis plus jeune ni idéaliste, mais j'ose croire que j'ai un peu plus de plomb dans la cervelle et au moins une tasse de lucidité dans l'esprit pour comprendre qu'une chanson n'a pas besoin de dire le mot « pays » ou « Québec » pour être engagée.

Un artiste peut s'engager de mille et une façons sans que cela soit explicite et exprimé dans une chanson ou un film.

D'ailleurs, avec le temps, je suis devenue méfiante face à ces chansons lyrico-romantiques qui veulent à elles seules faire l'indépendance du Québec et qui n'arrivent à rien d'autre qu'à nous casser les oreilles ou à nous faire la morale.

Il y a bien sûr une ou deux exceptions dont Libérez-nous des libéraux que je réécoute toujours avec un malin plaisir. Il y a aussi quelques classiques comme le sublime poème Speak White de Michèle Lalonde dont Robert Lepage nous a fait redécouvrir la puissance incandescente dans 887 récemment ; un poème qui évoque à la fois la lutte de classes et l'affirmation nationale. Il y a bien sûr Mon pays de Vigneault et Le plus beau voyage de Claude Gauthier avec son « Je suis Québec mort ou vivant » retentissant à la fin. Ce sont des classiques qui ne se démoderont jamais mais qui correspondent à une époque désormais révolue.

Pour le reste, je préfère me laisser bercer (enfin, façon de parler) par Les flamants roses de Jean Leloup, une chanson sombre, terrifiante et engagée à sa manière, qui fait ressortir toute l'horreur des pays en guerre.

Engagé mais autrement, comme le dit si bien Guillaume Beauregard de Vulgaires Machins dans le reportage de La Presse consacré au déclin (disparition ?) de la chanson engagée.

Lui comme bien d'autres ont compris que la chanson n'est pas nécessairement le lieu pour faire de la politique, du moins de la politique partisane. La chanson, au contraire, est un lieu de liberté, de non-alignement, de parti pris pour l'humanité, la société, la poésie, un lieu par excellence pour dire des choses belles, profondes ou critiques et cinglantes, mais jamais un lieu pour vendre des drapeaux ou défendre les couleurs d'un parti.

Et le cinéma québécois dans tout cela ? Le cinéma, à mon avis, est politique par définition, politique au sens large parce qu'il est une prise de parole, un commentaire, un miroir et un regard sur la société dont il est issu.

C'est vrai qu'au Québec, les films qui évoquent nommément des événements politiques se comptent sur les 10 doigts de la main. Mais oubliez le Québec un instant et nommez-moi 10 films politiques, américains ou français, réalisés au cours des 10 ou même 20 dernières années.

Le film politique est un genre en soi qui a atteint son apogée à une certaine époque (toujours la même) avec notamment le maître du genre, Costa-Gavras. Et si, chez nos voisins du Sud, il y a eu plusieurs projets de films politiques produits ou réalisés par George Clooney (Ides of March) ou Oliver Stone (JFK, Nixon) ou True Colors de Herbert Ross, ils sont un peu l'exception qui confirme la règle au sein d'une industrie peu encline à dépenser des millions pour un film qui n'appelle pas la franchise ni le produit dérivé. C'est triste, mais c'est une réalité qui confirme que le Québec, à cet égard, n'est pas différent des autres sociétés.

Ailleurs comme chez nous, c'est le documentaire qui a pris le relais. Les docus politiques abondent, avec évidemment en tête ce bon vieux Michael Moore, le roi du docu engagé.

Encore que dernièrement, avec Where to Invade Next, le roi semble s'être essoufflé, à force de voir que ses films pourtant populaires ne changeaient pas le monde ni ses lois. En dépit de ses efforts répétés et sincères, il y a malheureusement autant sinon plus d'armes en circulation libre aux États-Unis et autant de fusillades perpétrées par des tireurs fous.

Tout cela pour dire que l'engagement en art peut prendre toutes sortes de formes et qu'en plus, il est cyclique. Suffit qu'un événement politique majeur et généralement calamiteux survienne pour raviver la flamme qui ne s'éteint jamais complètement.

Si ça se trouve, dans quelques années au Québec, une nouvelle génération d'artistes va se lever et reprendre le flambeau politique. Aux États-Unis, ça risque de se passer dans quelques semaines, lorsque la menace que Donald Trump accède à la présidence deviendra une réelle possibilité. Engagez-vous, qu'ils disaient... Trump ne sait pas ce qui l'attend.