C'est un avis du Bureau de certification des produits audiovisuels canadiens (BCPAC) qui a mis le feu aux poudres. Et pour cause ! Dans cet avis sur les productions télé admissibles aux crédits d'impôt canadiens, le Bureau citait un certain nombre d'exemples. Or, parmi les heureux élus de l'admissibilité, on retrouvait le service de vidéo en ligne américain Netflix.

Vous connaissez Netflix, n'est-ce pas ? Vous y êtes probablement abonné, comme environ 4,5 millions de Canadiens (j'en suis) qui, bon an, mal an depuis 2010, date de l'implantation de Netflix au Canada, envoient à raison de 7,99 $ ou de 9,99 $ par mois un peu plus de 500 millions de dollars de revenus à Netflix, dont le siège est à Los Gatos, en Californie.

Malgré ce demi-milliard annuel récolté dans notre beau Canada, Netflix ne paie pas un centime de taxe au gouvernement canadien. D'où la levée de boucliers lorsque, par l'entremise de l'avis du BCPAC, le milieu de la télé a appris que Netflix aurait droit à des crédits d'impôt comme la bonne entreprise citoyenne canadienne qu'elle n'est pas.

Tous étaient outrés de découvrir que non seulement Netflix s'enrichit sur notre dos sans en payer le prix, mais qu'en plus, en vertu du BCPAC, il faudrait que les contribuables canadiens le subventionnent et l'aident à affaiblir le contenu canadien ? Un fouet avec ça ?

La ministre Mélanie Joly s'est empressée de rectifier le tir en niant l'admissibilité de Netflix aux crédits d'impôt. Sauf que... Si d'aventure Netflix vient tourner à Montréal (voir le texte de mon collègue Hugo Dumas à l'écran 2) une série d'après un scénario signé par des auteurs d'ici, réalisée par un réalisateur d'ici et interprétée par des comédiens d'ici, c'est clair qu'à titre de producteur (et non de diffuseur), Netflix aura droit à des crédits d'impôt comme n'importe quel autre producteur étranger qui tourne chez nous.

Mais là n'est pas le problème. 

Le vrai problème, c'est qu'ici comme ailleurs, Netflix fait partie de ces nouvelles entreprises de la nouvelle économie - comme Google, Amazon, Airbnb ou Uber - qui ne contribuent pas au système qui les enrichit.

Le vrai problème, c'est que l'ex-gouvernement Harper s'est opposé à toute taxe Netflix et que le gouvernement Trudeau n'a pas l'air empressé d'imposer cette taxe, lui non plus. Pourtant, en ce moment même, un peu partout dans le monde où Netflix est implanté, des voix s'élèvent pour crier à la concurrence déloyale. Lentement mais sûrement, les gouvernements s'organisent et légifèrent en faveur d'une taxe Netflix.

Selon Charles Vallerand, directeur général de la Coalition canadienne pour la diversité culturelle, la tendance en ce moment penche lourdement vers un rappel à l'ordre de Netflix, à qui de plus en plus de pays demandent d'apporter sa contribution sur le plan de la responsabilité fiscale.

Ainsi, en Australie, si tout va comme prévu, on implantera en juillet une taxe Netflix qui devrait rapporter au pays environ 350 millions d'ici quatre ans. La Nouvelle-Zélande envisage une taxe similaire. Pendant ce temps-là, la France et l'Allemagne attendent de la Commission européenne qu'elle décide si l'obligation aux fournisseurs étrangers de vidéo comme Netflix de contribuer à un fonds de soutien au cinéma national contrevient ou non à la loi européenne.

Chose certaine, les beaux jours de l'occupation libre et débridée des marchés par Netflix sont peut-être comptés. Mais les lois sont lentes. Pour accélérer les choses, il faudrait peut-être que les abonnés - et je m'inclus dans le nombre - se réveillent et soient conscients de ce qu'ils achètent tous les mois.

À première vue, les 7,99 $ ou 9,99 $ mensuels apparaissent bien dérisoires devant les nombreux avantages de Netflix : la richesse de son catalogue, la diversité de son offre où l'on trouve de tout - des séries télé trippantes, des documentaires inattendus, des petits films indépendants qu'on n'aurait jamais vus autrement ou des films grand public qu'on prend plaisir à revoir -, et tout cela, avec une accessibilité rapide et miraculeuse. Mais le miracle Netflix a un prix. Pas pour ses abonnés. Pour la culture des pays où vivent ces abonnés.

À cause de Netflix, les gens regardent moins la télé et, surtout, regardent moins les productions locales. Les cotes d'écoute pour ces productions dégringolent, ce qui entraîne la dégringolade des budgets des futures productions. Et c'est ainsi que toute une industrie de contenu local s'appauvrit, s'affaiblit et court le risque de disparaître un jour. Est-ce vraiment ce que souhaitent les abonnés de Netflix ? J'espère de tout coeur que non.

PHOTO MIKE BLAKE, ARCHIVES REUTERS

Netflix, dont le siège social est situé à Los Gatos, en Californie, ne paie pas de taxe au gouvernement canadien.

Photo Paul Sakuma, La Presse Canadienne

Netflix, dont le siège social est situé à Los Gatos, en Californie, ne paie pas de taxe au gouvernement canadien.