La semaine dernière, on a célébré la liberté d'expression. Mais on aurait dû choisir un autre moment, car, la semaine dernière, la liberté d'expression en a pris pour son rhume. Même qu'elle a frôlé la pneumonie.

D'abord, nous avons découvert que ceux qui, dans ce pays, arbitrent désormais la liberté d'expression - et à plus forte raison, celle qui passe par l'humour - sont les douaniers et les agents d'assurances. Ces derniers ont pris tellement de galon au fil des ans qu'ils ont maintenant le pouvoir de nous dicter ce qui doit nous faire rire... ou pas! Ce sont en effet des assureurs qui ont décidé de couper le numéro sur la liberté d'expression que devaient faire Mike Ward et Guy Nantel au Gala Les Olivier de dimanche.

Je rêve ou quoi? Deux humoristes sont chargés de défendre la liberté d'expression avec des blagues un peu osées et un assureur les censure et leur dit d'aller se faire voir ailleurs! Tout cela avec la bénédiction du diffuseur! Navrant.

À ce rythme-là, l'humour à la télévision québécoise ne vaudra plus bien cher, sauf pour les assureurs qui riront dans leur barbe en route vers la banque.

Ce n'est guère mieux du côté des douaniers canadiens. Voulant sans doute protéger la morale et les chastes oreilles des Québécois qui avaient acheté des billets pour le spectacle de Dieudonné, les douaniers canadiens ont retourné l'humoriste comme une crêpe et l'ont invité à reprendre le premier avion pour Paris.

«Liberté, je crie ton nom», mais plus ça va, plus je le mêle et le confond avec une nouvelle devise qui serait «la liberté pour moi, mais pas pour les autres». Ou mieux encore, «la liberté qu'ossa donne»?

Petit rappel: le 10 décembre 1948, les 58 États membres de l'Assemblée générale des Nations unies adoptent la Déclaration universelle des droits de l'homme. «Tout individu a droit à la liberté d'opinion et d'expression, ce qui implique le droit de ne pas être inquiété pour ses opinions et celui de chercher, de recevoir et de répandre, sans considération de frontières, les informations et les idées par quelque mode d'expression que ce soit», énonce l'article 19 de la Déclaration.

Autant dire qu'en 1948, trois ans après la fin de la guerre, on avait une idée très claire de la liberté d'expression. En même temps, on n'avait sans doute pas prévu l'avènement de Dieudonné ni la crise d'amertume et de folie de moins en moins passagère qui le gagnerait et le pousserait à tester jusqu'à plus soif les limites de la liberté d'expression.

Je n'aime pas particulièrement Dieudonné et je n'ai vraiment pas envie de pleurer sur son sort. D'autant plus qu'il n'est pas le premier artiste refoulé à nos frontières.

Combien de musiciens, de cinéastes ou de saltimbanques étrangers invités dans un de nos abondants festivals montréalais ont été retournés chez eux, de crainte qu'ils veuillent s'enraciner dans notre magnifique et «plusse meilleur pays»?

Dans le cas de Dieudonné, il n'y avait pas de danger sur ce front-là. Son désir d'emmerder la France et les Français est trop fort pour qu'il s'en prive. Tout semble indiquer qu'il a donc été refoulé aux frontières canadiennes en raison de son volumineux casier judiciaire. Or, comme le faisait remarquer le juriste Pierre Trudel, Dieudonné n'a tué ni violé personne. Il n'a pas volé de banque ni pratiqué le trafic de drogue ou la traite de Blanches. Il a été condamné pour des idées et propos jugés criminels en France, mais qui ne le sont pas nécessairement ici.

N'y a-t-il pas là un dangereux précédent? Car si on commence à interdire de séjour une personne pour des propos interdits ailleurs que chez nous, où est-ce qu'on s'arrête?

À ce compte-là, si Raïf Badawi devait être enfin libéré par les autorités saoudiennes, qui dit que lui aussi ne serait pas refoulé aux douanes canadiennes? Après tout, Badawi a un dossier criminel. Il été condamné à 10 ans de prison et 1000 coups de fouet pour avoir lui aussi dépassé les limites de la liberté d'expression dans son pays. Un douanier canadien pourrait très bien décider que ce qui est bon pour l'Arabie saoudite est bon pour nous aussi, non?

On a beau être allergique à Dieudonné, on n'a pas à se réjouir du sort que lui ont réservé les douanes canadiennes ni du précédent que cela crée.

Ce qui m'amène au dernier cas de la semaine - un cas peu différent des autres, car il concerne un adepte et un grand pratiquant de la liberté d'expression qui, subitement, s'est mué en émule des douaniers et des assureurs.

Je parle de Richard Martineau qui, cette semaine, s'en est pris à la grande confrérie des journalistes et tout particulièrement à sa fédération qui a omis de condamner un texte de Marc-André Cyr et qui l'a même invité à un débat sur la liberté d'expression.

Le 17 février dernier, Marc-André Cyr, un blogueur et chargé de cours à l'UQAM a publié sur le site de Ricochet une critique très virulente de l'oeuvre médiatique de Richard Martineau.

La critique était justifiée, d'autant plus que Martineau ne se prive pas, lui, de varloper tout le monde et son père sur ses mille et une tribunes. La critique était justifiée à une nuance près: le blogueur l'a écrite sous forme de notice nécrologique. Il a franchi un pas qu'on ne doit jamais franchir: il a souhaité la mort d'un autre et, en la souhaitant, il a complètement discrédité son propos.

Entendons-nous bien: Cyr n'est pas entré dans la rédaction du Journal de Montréal pour abattre Martineau. Mais il l'a fait métaphoriquement, symboliquement. Et peu importe si c'était une satire, une parodie ou un effet de style, souhaiter la mort d'un autre, même sa mort médiatique, est inacceptable.

Fallait-il pour autant l'interdire de séjour au débat sur la liberté d'expression? Non, au contraire. Il fallait l'inviter et le confronter, ce qui fut fait et ce que Martineau n'a pas digéré et a dénoncé partout. Pourtant, le 10 mars dernier, Martineau se portait à la défense d'un militant anti-islam dont la conférence avait été annulée. «La liberté d'expression, c'est aussi la liberté de tenir des propos choquants, détestables et impopulaires», écrivait Martineau.

Liberté pour moi, mais pas pour les autres? Je pose la question, mais ça va, Richard, tu n'as pas besoin d'y répondre.