On ne dira pas que c'est la faute à El Chapo, le caïd de la drogue mexicain maintenant sous les verrous, et pour longtemps, on l'espère. Ni de la faute au Sicario de Denis Villeneuve. On ne dira pas que c'est la faute aux narcotrafiquants qui ont vidé les plages et les hôtels d'Acapulco et rempli les cimetières de Juárez.

On dira seulement que depuis un certain temps, le Mexique a un sérieux problème d'image. Plus précisément depuis que les États-Unis ont levé l'interdit frontalier de la vente d'armes tout en fermant la frontière de la Floride aux cartels de drogue sud-américains, les obligeant à passer par le Mexique.

Depuis, le Mexique est devenu une plaque tournante sanglante du trafic de la drogue. Le tourisme y est encore florissant : 32 millions de touristes par année, dont 1,7 million de Canadiens et plus de 350 000 Québécois, mais son image internationale a été considérablement ternie par les circonstances.

Que faire pour effacer les traces de poudre blanche et les taches de sang et inciter les touristes à revenir en masse ? S'associer avec une marque qui, par ses couleurs vives et festives et par sa renommée, chasse les nuages et les statistiques meurtrières.

C'est ainsi que le Mexique s'est associé avec le Cirque du Soleil et que leur union vient d'accoucher d'un tout nouveau bébé : le spectacle Luzia présenté sous chapiteau au Vieux-Port de Montréal.

Luzia n'est pas le premier projet né de ce partenariat. Le premier, c'était le spectacle permanent Joya inauguré dans la jungle de Riviera Maya en 2014 sur la côte est mexicaine et financé par le groupe privé Vidanta. S'est ajouté le projet de parc thématique Cirque du Soleil à Nuevo Vallarta sur la côte Ouest, qui devrait voir le jour en 2018. Sans oublier l'école Circo de los Niños à Nayarit, là où Gilles Ste-Croix, cofondateur du Cirque du Soleil, a pris sa retraite et lancé ce cirque pour enfants. Et sans oublier non plus Patricia Ruel, directrice artistique du Cirque, en couple avec un Mexicain et vivant à temps partiel au Mexique. Bref, plus ça va, plus le Cirque du Soleil se déploie sous le soleil mexicain et en profite, au passage, pour cultiver un marché considérable : le deuxième en importance après le marché américain.

Avec Luzia, un nouveau pas a été franchi puisque le gouvernement mexicain y est associé, d'où la présence du ministre du Tourisme du Mexique à la première mercredi. Le montant de l'entente est extraordinaire : 47 millions US (60 millions CAN) investis sur cinq ans pour que ce spectacle d'inspiration mexicaine rayonne à travers le monde.

Il y a toujours un risque lorsque des créateurs s'associent à un gouvernement pour en faire la promotion. Il y a le risque de la propagande et le risque de la perte d'indépendance créative.

Mais Luzia réussit son pari d'indépendance. D'abord en nous épargnant les clichés mexicains à la sauce sombreros, mariachis et tequila, puis en plongeant dans l'imagerie magnifique de cette culture riche en symboles de toutes sortes et en l'intégrant magistralement dans ses numéros de haute voltige.

Depuis l'immense disque solaire d'inspiration aztèque qui trône au-dessus de la scène jusqu'à la faune animale avec sa ménagerie de colibris, d'iguanes, d'insectes affolants et de chevaux argentés en passant par une symphonie de costumes sublimes et d'averses tropicales fulgurantes, ce spectacle est un festin pour les yeux, un ballet éclatant de couleurs et d'imagination, un tour de magie grandiose dont on émerge après deux heures souriants et éblouis.

Bien sûr, on pourra reprocher à cette 38e production du Cirque du Soleil son absence de contenu, sa recette éprouvée qui, d'un projet à l'autre, ne change pas, sauf pour les décors et les costumes, mais ça ne sera pas mon propos aujourd'hui. Pour une bonne raison : je n'ai pas vu un spectacle du Cirque du Soleil depuis Varekai, c'est-à-dire depuis 14 ans. Et comme je me plais à le répéter : la meilleure façon d'apprécier un spectacle du Cirque du Soleil, c'est d'en être privé longtemps. C'est ce qui m'est arrivé.

Quatorze ans plus tard, lorsqu'on revient au Cirque du Soleil, à moins d'être vraiment de mauvaise foi, qu'on le veuille ou non, on retombe en enfance. Pas de manière vide, stupide ou sénile. Non. On retrouve la magie et la fraîcheur qui nous avaient attirés au départ et que l'usure du temps et les aléas de la vie nous ont fait perdre et oublier.

Mon rapport avec le Cirque du Soleil, ou du moins avec son fondateur, n'a pas toujours été des meilleurs. Mais la vie passe, et je suis obligée de reconnaître que même si le Cirque du Soleil ne nous appartient plus vraiment, c'est une machine extraordinaire que Guy Laliberté a créée : une machine spectaculaire d'une efficacité redoutable, qui porte encore et pour toujours, je l'espère, le Québec dans son coeur et dans son ADN.

Un spectacle ne peut à lui seul changer le monde ni enrayer la violence qui fait rage dans un pays. Mais il peut rappeler que la beauté existe malgré tout. C'est ce que fait Luzia dans la lumière comme sous la pluie.

photo andré pichette, la prese

Luzia est le résultat d'une entente de 60 millions CAN investis sur cinq ans entre le gouvernement mexicain et le Cirque du Soleil.