Une dernière chance, une dernière danse, une ultime tentative pour sauver les meubles du FFM et de l'Impérial et empêcher leur bateau ivre, abandonné par les gouvernements, de couler : voilà ce que Jean Fortier vient d'offrir à Serge Losique, président du FFM.

Qui est Jean Fortier et que vient-il faire dans cette histoire ? Jean Fortier fut, dans une autre vie - plus précisément entre 1998 et 2001 -, le président du comité exécutif de la Ville de Montréal sous Pierre Bourque. C'est à cette époque et dans l'exercice de ses fonctions qu'il a rencontré Serge Losique qui, à ce moment-là, était en bien meilleure posture qu'aujourd'hui. Au fil du temps et des aléas de la vie, les deux hommes sont restés en contact. Puis l'an passé, alors qu'il avait pratiquement perdu tous ses appuis politiques, Losique s'est tourné vers Jean Fortier et l'a nommé président de la Fondation du FFM.

Serge Losique ignorait à ce moment-là que Mélanie Joly allait être élue au fédéral et deviendrait bientôt la ministre de Patrimoine Canada. Mais disons qu'il a eu du flair ou une sacrée chance en recrutant Fortier, qui a brièvement fait partie de l'équipe de Mélanie Joly. Et même si Fortier a abandonné Joly en pleine campagne, il a eu le temps de se réconcilier avec elle, notamment pendant la campagne de la libérale Rachel Bendayan, à qui il a prêté main-forte. La candidate défaite d'Outremont est aujourd'hui la chef de cabinet de la ministre de la Petite Entreprise et du Tourisme, Bardish Chagger, ce qui ne peut pas nuire.

Toujours est-il que Jean Fortier est arrivé au FFM l'an dernier, qu'il a examiné la situation financière pas très rose, la dette de plus de 3 millions liée à des taux d'intérêt astronomiques. Il a laissé son regard errer sur les tapis usés à la corde des bureaux du FFM, a noté le taux d'occupation très faible de l'Impérial et a constaté la déliquescence de toute l'entreprise.

Il s'est alors mis à la recherche d'une solution concrète, pratique, viable et a vite conclu que l'Impérial, un OSBL géré par Losique et son fils, était, malgré la lourdeur de ses dettes et l'avidité de ses créanciers, un actif. Et qu'il fallait en profiter au maximum. Pas en le louant une fois tous les six mois pour une première de film. Non, en le louant au moins 10 soirs par mois, 12 mois sur 12, ce qui n'est peut-être pas si improbable puisque l'Impérial est situé au coeur du Quartier des spectacles et directement en face de la future Maison de la danse.

N'étant pas un exploitant de salles, Jean Fortier s'est tourné vers un professionnel : Ezio Carosielli, celui qui a retapé et redonné du lustre et de la vie au théâtre Rialto et qui exploite aussi le nouveau Théâtre St-James dans le Vieux-Montréal où ont lieu de plus en plus d'événements corporatifs.

Parenthèse : Ezio et sa femme Luisa Sassano, deux avocats qui se sont rencontrés à l'Université McGill, ont fait fortune dans l'immobilier et sont devenus propriétaires de dix garderies et de deux écoles de danse (Extravaganza). Mais la vraie passion du couple, ce sont les vieux théâtres. À tel point qu'en 2010, ils ont renoncé à leur pratique de droit pour s'occuper à temps plein du Rialto qui, depuis, va très bien merci.

Évidemment, il n'est pas question qu'Ezio achète l'Impérial, qui n'est pas à vendre et qui, pour l'heure, est encore virtuellement entre les mains de ses créanciers. Il est seulement question qu'Ezio en devienne l'exploitant, ce qu'il a accepté d'emblée.

Au téléphone cette semaine, Ezio m'a répété que la location de l'Impérial était, à ses yeux, la chose la plus facile de l'équation. « Les autres éléments sont plus complexes et plus imprévisibles, mais, pour la location, madame, aucun problème. Cette salle est magnifique et, avec les améliorations que je pourrais y apporter comme je l'ai fait avec le Rialto, les gens vont s'empresser d'y revenir. »

La confiance d'Ezio est telle qu'il accepté d'assumer la dette de 3,7 millions de l'Impérial. C'est dire qu'il serait prêt à rembourser les créanciers actuels et à reprendre l'hypothèque de la salle à son compte à des taux nettement moins élevés. En échange de quoi il partagera avec l'Impérial les profits d'exploitation générés par l'augmentation considérable du volume d'affaires.

Redevenu rentable, l'Impérial pourrait aider au financement du FFM et régler une partie de ses problèmes.

En gros, c'est cela, le plan de Jean Fortier. C'est simple sur papier. Ça l'est un peu moins dans la vraie vie. Il y a des questions juridiques, contractuelles, financières, émotives et familiales à régler.

Mais au moins, pour une fois depuis très longtemps, Serge Losique a devant lui le début d'une solution pour s'extirper de la gangue dans laquelle il s'est enlisé et pour peut-être - je dis bien peut-être - sauver son festival. Il aurait sans doute fallu y penser avant, mais il n'est jamais trop tard pour bien faire. 

D'autant plus qu'une fois la santé financière du cinéma et du FFM rétablie, Serge Losique pourra enfin tirer sa révérence sereinement et laisser une nouvelle génération prendre le relais, ce qu'il devra bien se résoudre un jour à faire, qu'il le veuille ou non.

En attendant, une chose est claire : l'heure de la dernière chance a sonné. Il ne faudrait pas la laisser sonner dans le vide trop longtemps.

PHOTO RÉMI LEMÉE, ARCHIVES LA PRESSE

Jean Fortier a été entre 1998 et 2001 le président du comité exécutif de la Ville de Montréal sous Pierre Bourque. C'est à cette époque et dans l'exercice de ses fonctions qu'il a rencontré Serge Losique.