Je ne pensais pas de mon vivant écrire un jour une chronique sur la mort de Jean Lapierre. Cet homme-là était bien trop vivant. Il n'avait même pas encore fêté ses 60 ans et, avec son énergie, son dynamisme, sa forme physique infatigable, il menaçait de vivre centenaire. Mais la vie nous réserve parfois des surprises... Et celle-là est particulièrement tragique.

Mourir en route pour les funérailles de son propre père, voilà une bien triste et cruelle ironie du sort. Jean Lapierre aurait été le premier à le souligner mercredi matin au micro de Paul Arcand, lui qui avait toujours une image frappante à la bouche.

Mais mercerdi matin, il n'y était pas. Pas plus que tous les futurs matins jusqu'à la fin des temps, ou du moins jusqu'à la disparition de cette émission. Sa voix s'est éteinte à jamais mardi au milieu d'un champ enneigé des Îles balayé par les grands vents. Ces Îles qu'il aimait tant...

Un homme est mort et c'est sa voix vive, vivante, animée, imagée, truculente, sa voix comme le démarreur à distance de notre quotidien, qui nous manquait mercredi matin.

Qu'on l'aime ou pas, qu'on soit d'accord ou non, cette voix friande du dernier potin politique, de la dernière rumeur juteuse, du dernier jeu de coulisses, cette voix mettait la table pour la journée.

Si Jean Lapierre l'avait dit, c'est que ça devait être vrai ou, du moins, qu'il y avait là très certainement une part de vérité, un peu de feu dans la fumée, une anguille sous la roche. Et si Jean Lapierre le savait, alors ça ne serait pas long avant que tout le monde le sache parce qu'il n'était pas avare de ses informations privilégiées, ce Jean-là. Il semait à tout vent, il distribuait généreusement tout ce qu'il avait appris de ses millions de sources et de son réseau fourmillant de contacts. Le pouvoir infini du réseau de Jean Lapierre...

Je ne l'ai pas connu comme politicien dans les années 80 sous John Turner. Je me souviens vaguement d'avoir un jour appris qu'il fut un des cofondateurs du Bloc québécois. Mon souvenir du ministre des Transports qu'il fut sous Paul Martin est presque aussi vague.

Celui que j'ai connu et croisé dans les couloirs de CKAC, celui qui m'a fait rigoler ou rager, c'est la bête médiatique, l'homme de radio, le conteur naturel qui s'allumait en même temps que la lumière rouge du studio et qui pouvait parler pendant des heures et des heures de son sujet de prédilection - la politique - sans jamais manquer de carburant ni d'anecdotes parfois croustillantes, toujours amusantes.

Lapierre était peut-être né pour faire de la politique, mais il ne le faisait jamais aussi bien que derrière un micro, d'abord à la radio, puis devant les caméras de TQS où il a fait ses débuts d'animateur d'affaires publiques avant d'intégrer l'empire Québecor et d'y rayonner d'un bout à l'autre. Par moments, ces dernières années, on avait en effet la nette impression que Jean Lapierre vivait perpétuellement sous la cloche de verre des médias et qu'il ne faisait que ça.

On allumait la télé à TVA ou à LCN et il y était. On y revenait des heures plus tard, et il y était encore. Tout cela, entre deux émissions de radio. Mais dire qu'il ne faisait que commenter l'actualité politique serait réducteur. Lapierre en était le principal narrateur, celui qui, tous les jours, donnait une forme et une direction à l'histoire politique du jour.

Et tous les jours, il nous donnait à voir une nouvelle histoire, parfois cruciale, parfois complexe, parfois un brin tordue par ses biais, ses partis pris, ses intérêts ou même ses conflits d'intérêts. Mais qu'importe, car dans l'exercice, ce que Jean Lapierre faisait avant tout, c'était de rendre cette chose morne et sèche, cette chose un peu morte qu'est la politique, vivante, intéressante, captivante. Il faisait oeuvre utile en faisant notre éducation et en nous empêchant de sombrer complètement et à jamais dans l'apathie et l'indifférence politiques. Grâce à lui, nous restions à l'écoute et liés malgré nous à la vie politique de ce pays. Rien que pour ça, Jean Lapierre va nous manquer grandement.

Sur ses comptes Facebook et Twitter, Jean Lapierre nous a annoncé lundi la mort de son père. Qui aurait pu croire que ce serait son dernier message? Mardi après-midi, toute la famille médiatique québécoise incrédule et sonnée a attendu en vain que Jean Lapierre se manifeste sur les réseaux sociaux pour nous dire de ne pas nous inquiéter, que son heure n'était pas venue, qu'il était sain et sauf et que tout cela était une vaste plaisanterie. Et puis, il a fallu se rendre à l'évidence, Jean Lapierre ne reviendrait jamais des Îles. Il était rentré chez lui pour de bon. Qu'il y repose en paix avec les siens.