Donnez 60 secondes à un politicien et voici ce qui se produira. C'est ainsi que le magazine L'actualité nous invite à consulter des questions en rafale posées à une demi-douzaine de députés fédéraux dont Pablo Rodriguez, Gérard Deltell, le ministre Jean-Yves Duclos et l'imprudente Mélanie Joly. Imprudente parce qu'appelée à choisir entre TVA ou Radio-Canada, elle a répondu un peu trop spontanément: «Facile, c'est Radio-Canada!» De toute évidence, la ministre de la radiodiffusion canadienne n'avait pas vu l'énorme piège à ours qu'on venait de lui tendre.

À la même question, le député libéral Pablo Rodriguez, lui, a eu la bonne idée de répondre «j'aime les deux». Quant au ministre Jean-Yves Duclos, celui qui donne mauvaise presse aux intellos, il a affirmé qu'il aimait Radio-Canada, quand il était sérieux, et TVA, quand il l'était un peu moins. Bravo!

Mélanie Joly a été imprudente, mais pas à ce point-là. Reste que si elle a manqué de distance critique, c'était probablement à cause du chèque de 75 millions destiné au réseau public qu'elle promet depuis quatre mois et qu'elle n'a toujours pas livré.

Elle a manqué de neutralité, s'est indigné le commentateur Jean Lapierre, qualifiant la ministre responsable de l'ensemble de la radiodiffusion canadienne de majorette de Radio-Canada. L'image de la majorette, cette jeune fille en uniforme de fantaisie qui parade dans les fêtes et les défilés, a été reprise sur plusieurs plateformes de Québecor.

Le lendemain, en présence de la majorette fautive, Mario Dumont en a rajouté une couche sur les ondes de LCN, propriété de Québecor. Pendant plus de huit minutes, la pauvre majorette a dû subir la démagogie effrénée d'un animateur, qui pas une fois, n'a voulu admettre l'existence d'une télé publique canadienne utile, voire indispensable, à notre identité culturelle.

Refusant de reconnaître que le Canada s'est doté il y a plus de 50 ans d'un réseau de radiodiffusion public, qui a résisté au temps et aux changements de gouvernement, il a accusé la majorette de pomper l'argent des contribuables et de le «domper» chez un seul joueur. Un joueur!

Donnez 60 secondes à Mario Dumont et regardez-le produire avec une malhonnêteté intellectuelle navrante des clichés démagogues à la tonne.

Ce qui m'amène à l'image du majordome, ce maître d'hôtel travaillant au service d'un riche particulier. Le majordome veille à la bonne tenue de la maison qui ne lui appartient pas, mais qui le fait vivre. Or, bien franchement, quand j'écoute Dumont ou Lapierre sur certains sujets, j'ai le sentiment d'entendre des majordomes qui veillent aux intérêts du riche particulier propriétaire de TVA.

Je les regarde marcher sur des oeufs et protéger leur maison de verre en traînant un relent de malaise crispé dès que des sujets délicats arrivent sur le tapis de l'actualité. Je les vois retenir leur souffle quand Pierre Karl Péladeau fait une gaffe qu'ils sont bien obligés de souligner, sinon de quoi ils auraient l'air?

Puis je les vois soupirer d'aise quand les nouvelles sur leur ex-futur patron sont bonnes.

Bref, au chapitre de la neutralité, les majordomes de TVA sont mal placés pour donner des leçons à Mélanie Joly. Pourtant, s'ils avaient voulu sérieusement critiquer la ministre, ils auraient eu amplement de matière. Car depuis que la tour radio-canadienne a été mise en vente, les protestations fusent de toutes parts. Idem pour les lettres ouvertes virulentes signées par des personnalités connues.

«Si la haute direction actuelle persiste à dissoudre l'aujourd'hui sans construire l'avenir, alors cette tour ne deviendra qu'un formidable monument à 10 ans de conservatisme aveugle en matière de culture», a écrit récemment Sylvain Lafrance, l'ex-vice-président des réseaux français. 

Simon Durivage, lui, y est allé d'une charge à fond de train contre la direction actuelle. «La radio et le cinéma se sont adaptés [à l'arrivée de la télévision], ils se sont renouvelés et ils sont aujourd'hui plus florissants que jamais. Messieurs Lacroix et Lalande n'ont visiblement pas envie de choisir cette voie. Vivement un coup de barre, Madame Joly. J'ai mal à mon Radio-Canada et je ne suis pas le seul», écrit-il dans Requiem pour Radio-Canada.

L'animateur Pierre Maisonneuve, pour sa part, déplore le maintien du plan conservateur en dépit des promesses libérales. «Avait-on besoin d'un changement de gouvernement à Ottawa si tous ceux qui ont été choisis par Stephen Harper restent en place et poursuivent la démolition de Radio-Canada?» demande-t-il.

C'est sensiblement la même question que j'ai posée à Mélanie Joly mardi. Pourquoi rien ne bouge, madame la Ministre? Pourquoi répéter que vous allez réinvestir dans Radio-Canada sans produire de chèque? Mélanie Joly a répliqué que pour le chèque, il faut attendre au 22 mars, date du nouveau budget qui, selon elle, fera la belle part au réseau public. Elle a ajouté qu'elle était sensible aux critiques visant la présidence de CBC-Radio-Canada, mais qu'en vertu de la loi, le président est inamovible jusqu'à la fin de son mandat en 2017. Quant à la tour, si j'ai bien compris, la priorité de la ministre «c'est que les employés aient accès à un milieu de vie moderne et sécuritaire», ce qui revient à dire qu'elle n'est pas contre la relocalisation ni la vente d'une tour qui n'a rien de très moderne.

Mélanie Joly est peut-être la majorette de Radio-Canada, mais au moins, elle ne fera pas que regarder passer la parade. C'est déjà ça de pris.