L'impact musical et créatif de Bowie est énorme. Il a ouvert des routes, lancé des modes, pressenti des courants, fait tomber des cloisons, transgressé des tabous et emprunté des voies secrètes et inexplorées. Musicalement et artistiquement, c'était un pionnier, un visionnaire, un avant-gardiste. Mais son impact culturel et social fut tout aussi important, sinon plus.

On se souvient tous de sa célèbre déclaration en 1972 au sujet de sa bisexualité. L'affaire a fait scandale au Royaume-Uni et ailleurs. Et pour cause! En 1972, aucune vedette rock ou pop n'osait révéler son homosexualité ou sa bisexualité sur la place publique. Elton John était dans le garde-robe, Freddie Mercury de Queen n'en sortirait que deux ans plus tard. Barry Manilow tentait de se convaincre qu'il était heureux en ménage avec sa jeune épouse. Même Liberace, sans doute l'artiste gai le plus ostentatoire de son temps, taisait son homosexualité. Idem pour Rob Halford, le motard métalleux de Judas Priest, ou pour Chuck Panozzo, le bassiste de Styx.

Toute la question de l'orientation sexuelle qui allait devenir centrale, des décennies plus tard, était absente de la scène publique. On n'en parlait pas. Mieux encore: on faisait comme si ça n'existait pas.

C'est une authentique bombe que Bowie a larguée sur la scène pop en 1972 avec sa déclaration livrée sur un ton amusé et nonchalant. 

Une bombe, oui, mais libératrice et réconfortante pour des millions d'ados mal dans leur peau, isolés, ostracisés, dépressifs et aliénés de leurs famille. Subitement, ces orphelins identitaires qui erraient, désemparés, au pied des scènes de la culture pop venaient de trouver un modèle, un héros, un frère sur lequel ils pouvaient projeter leur différence.

Évidemment, tout cela ne tenait pas qu'à une seule déclaration, mais aussi à un accoutrement, à un look, à une posture et à une ambivalence androgyne assumée par un Bowie maigre comme un clou, arborant boucles d'oreilles, souliers à talons compensés, maquillages outranciers et tenues aux accents féminins prononcés. Le fait que Bowie se soit donné la liberté de se présenter ainsi à la face du monde, qu'il n'ait pas eu peur de faire figure d'extraterrestre, donne la mesure de son audace et aussi de son courage, car cela prend du courage pour aller à contre-courant à ce point-là.

On a beaucoup évoqué la scène dans C.R.A.Z.Y. où Marc-André Grondin, la moitié du visage maquillée à la Bowie, chante Space Oddity en duo virtuel avec lui, en rêvant de fuir sa vie misérable.

Mais sept ans avant, le cinéaste Todd Haynes avait réalisé Velvet Goldmine, une sorte de biopic déjanté sur les années Ziggy Stardust de Bowie et sur l'histoire d'amour - inventée? - de Bowie et Iggy Pop.

L'histoire est racontée du point de vue d'un jeune journaliste gai interprété par Christian Bale, qui vit avec des parents puritains d'une rigidité consommée. Dans une scène d'anthologie, les parents et leur fils regardent la télé ensemble lorsque apparaît à l'écran le clone de David Bowie qui annonce qu'il est bisexuel. Le personnage de Christian Bale bondit et hurle en rêve, à ses parents: «C'est moi, c'est moi! Ce type, c'est moi!»

Cette scène résume brillamment, à mon avis, l'oeuvre utile de David Bowie auprès de plusieurs générations de jeunes gais, lesbiennes, bisexuels ou transgenres qui, grâce à lui, se sont sentis moins seuls au monde et qui ont compris qu'ils avaient droit à leur différence. Et tant pis si, plus tard dans sa vie, David Bowie est revenu sur ses propos et a qualifié l'annonce publique de sa bisexualité comme la pire gaffe de sa vie. Tant pis s'il a fini par avouer, il y a quelques années, que tout cela n'était que de la frime et que, dans le fond, il était un authentique hétérosexuel. Ce qui compte, c'est l'effet qu'il a eu, les vies qu'il a changées, les fils et les filles qu'il a sauvés, et l'ouverture d'esprit dont il fut le plus ardent porte-parole.

Gai, hétéro, bi, ambigu, ambivalent, David Bowie aura été tout et son contraire. Mais surtout, il aura été lui-même: un artiste unique, fascinant et irremplaçable.

Chassez l'acteur, il revient au galop

À la fin de l'article-fleuve de Sean Penn sur sa rencontre avec le baron de la drogue mexicain El Chapo, ses éditeurs à Rolling Stone prennent la peine de rappeler que l'acteur-journaliste n'est pas né de la dernière... encre. Qu'il a déjà publié des reportages sur l'Irak, l'Iran, Cuba, Haïti, etc. Bref qu'il est un vrai journaliste. 

Sauf que c'est faux. Sean Penn est d'abord un acteur et son long texte sur El Chapo qu'il a rencontré pendant plus de quatre heures puis interviewé par internet plus tard en est la preuve éclatante. D'abord, même si l'entrevue est nulle, le long texte qui la précède est plutôt bien torché et regorge de détails sur sa rencontre surréaliste avec le baron de la drogue. Reste que tout au long de ce texte de plus de 52 pages, on sent l'acteur qui tente de comprendre un personnage, l'acteur qui suspend son jugement et qui refoule son objectivité pour mieux rentrer dans la tête de ce personnage.

Au cinéma, la méthode donne de puissants résultats. En journalisme, elle sape toute crédibilité. Morale de cette histoire: Sean Penn devrait continuer de faire du cinéma...