J'en connais qui s'en foutent éperdument. Sacrez-nous patience avec vos tas de guenilles qui sentent le moisi! L'important, c'est de sauver des jobs, pas des vieux chiffons, disent-ils.

J'en connais qui n'auraient pas levé le petit doigt pour sauver le costumier de Radio-Canada. Eh bien! tant pis pour eux. Qu'ils le veuillent ou non, le Costumier, et son extraordinaire fonds patrimonial de 70 000 costumes et 20 000 accessoires, a été sauvé du déluge. Mieux que sauvé: il va changer de maison, changer de famille et renaître de ses cendres d'ici le mois d'avril.

Dire qu'il y a un an, le costumier, qui se déployait sur 15 000 pieds carrés au sous-sol de la tour de Radio-Canada, était à l'article de la mort, victime des compressions.

Malgré une pétition de plus de 30 000 signataires favorables à son maintien et malgré des protestations des milieux de la production qui s'y alimentaient en costumes de toutes sortes à longueur d'année, la direction de Radio-Canada avait sonné le glas du costumier et donné le feu vert à son démantèlement. Le service a été fermé le printemps dernier et une infime partie de la collection - 143 costumes iconiques de Sol et Globelet, de Franfreluche, de Bobino et de Paillasson - a pris le chemin du Musée de la civilisation à Québec, grâce à l'intervention de la ministre de la Culture, Hélène David. Le reste du fonds attendait d'être liquidé.

Et puis, miracle! Le costumier s'est fait offrir un plan d'action par un organisme communautaire et une nouvelle maison par la Ville de Montréal: l'ancien entrepôt des livres de l'ex-Bibliothèque centrale de Montréal, un local de plusieurs milliers de pieds carrés qui se déploie sur cinq étages. Le local est vacant et chauffé en pure perte depuis des années.

Mais le miracle de cette histoire, c'est la convergence de plusieurs acteurs sociaux, politiques et économiques qui, tous en même temps, ont voulu faire une geste pour empêcher la dilapidation de cette magnifique collection de costumes, réputée être la plus importante en Amérique du Nord.

Le miracle, c'est une collaboration inusitée entre une institution fédérale (Radio-Canada), une institution provinciale (le ministère de la Culture), la Ville de Montréal, le milieu de la télé et du cinéma, et le milieu communautaire. Un miracle typiquement québécois.

À Toronto, en 2007, le costumier de la CBC, moins fourni que celui de Radio-Canada, mais pourvu d'une collection honorable, a tout bêtement été vendu à une entreprise privée. Au Québec, on a fait les choses autrement et c'est tant mieux.

Dans le concert de mauvaises nouvelles qui se sont abattues récemment sur le milieu culturel - fermeture d'Excentris, mort de la compagnie de danse La La La Human Steps, vente du Cirque du Soleil - , l'annonce du sauvetage du costumier, qui deviendra Le Grand Costumier de Montréal, fait du bien. Elle donne espoir.

Car les partenaires de cette aventure auraient très bien pu baisser les bras et assister à la fin du costumier en disant que c'était la fin d'une époque et que ce n'était pas plus grave que ça. Mais tous, incluant le producteur Éric Salvail, qui a débuté dans le métier en pliant des bas au service des Costumes de Radio-Canada, ont eu le même sursaut d'indignation et la même envie de s'organiser pour changer le cours des choses.

Le résultat de cette vaste entreprise de consultation et d'actions concertées, c'est que le costumier va connaître une nouvelle vie: une vie plus ouverte et surtout, plus démocratique. Car pendant longtemps, les costumes n'étaient accessibles qu'à ceux qui produisaient des émissions pour Radio-Canada. Et même dans les années 2000, quand le costumier s'est lancé dans la location de costumes pour les productions extérieures, cela n'allait pas de soi. Pour s'y rendre, il fallait obtenir le feu vert de la sécurité. Les cartes de crédit n'étaient pas les bienvenues, les heures de location n'étaient pas des plus flexibles. Bref, pour les producteurs étrangers qui venaient tourner chez nous, faire affaire avec le costumier était compliqué.

Les choses vont être passablement plus simples au Grand Costumier de Montréal. D'abord, grâce à une subvention de 100 000$ du ministère de la Culture, toutes les pièces de la collection vont être numérisées. Désormais, les locateurs de costumes auront accès à un grand catalogue virtuel qui les aidera à faire leur choix avant de se rendre sur place.

Dans la nouvelle maison du costumier, il n'y aura plus de convoyeur pour faire tourner les costumes, comme c'était le cas à Radio-Canada, un système coûteux qui commandait un entretien régulier. En lieu et place, les costumes seront accrochés sur une simple barre fixe au milieu des anciennes étagères inamovibles qui accueillaient autrefois les livres.

L'aménagement de l'espace bénéficiera d'une subvention de 600 000$ de la Ville de Montréal. Quant au loyer réclamé par la Ville, il sera de un dollar symbolique par année. Une fois que Le Grand Costumier de Montréal ouvrira ses portes, il le fera sous les auspices de l'économie sociale, c'est-à-dire sans subvention au fonctionnement. Il devra être rentable et tout semble indiquer qu'il le sera.

La morale de cette histoire, c'est que lorsque des gens issus de milieux différents mettent de côté leurs différends pour travailler au même projet, des miracles se produisent. Le Grand Costumier de Montréal en est la plus récente preuve.