Un cinéma qui ferme, c'est toujours triste. Mais un cinéma comme l'Excentris qui ferme, ce n'est pas seulement triste, c'est dramatique, inquiétant, désespérant. Un cinéma comme l'Excentris qui ferme, c'est un gros gâchis et le signe que contrairement à ce que notre maire jovialiste se plaît à croire, ça ne va pas bien à Montréal. Pas bien du tout.

La nouvelle est tombée mardi matin, au moment où je venais de m'enfoncer dans le nuage d'un siège de l'une des trois salles de l'Excentris, ce magnifique complexe conçu, construit et entièrement financé, à raison de 38 millions, par le mécène Daniel Langlois.

Mardi, l'ONF y avait organisé un visionnement pour le documentaire Pipelines, pouvoir et démocratie, le genre de film percutant et engagé qui faisait désormais partie du mandat de diffusion de l'Excentris depuis la crise de 2009, quand le cinéma avait failli fermer ses portes avant d'être sauvé in extremis, deux ans plus tard, par le gouvernement du Québec.

J'espère que personne ne se souvient de la chronique que j'ai écrite à ce moment-là. Je pensais en effet à l'époque que la fin de l'Excentris n'était pas la fin du monde ni la fin du cinéma à Montréal. Que d'autres salles prendraient le relais et feraient une aussi belle part au cinéma indépendant que l'Excentris.

Six ans plus tard, je me rends compte que j'avais tort. Que la fermeture de l'Excentris est une grande perte pour Montréal, pour ses cinéphiles, pour le milieu du cinéma, sinon pour le milieu culturel québécois au complet.

Six ans plus tard, je crois qu'il faut à tout prix sauver ce cinéma qui, à son ouverture en juin 1999, a fait de Montréal une métropole à la fine pointe de l'évolution technologique, numérique et cinématographique. L'Excentris était un cinéma précurseur, un cinéma en avant de son temps. Tellement en avant de son temps que les promoteurs du Bell Light Box de Toronto, qui a vu le jour dix ans plus tard, se sont précipités boulevard Saint-Laurent pour voir le nouveau bijou montréalais et s'en inspirer. C'est d'ailleurs le même ingénieur - Laurent St-Onge - qui s'est chargé de l'installation technique et technologique des deux complexes.

En 2010, lors de l'inauguration du Bell Lightbox qui a coûté 196 millions, son directeur artistique avait déclaré que son équipe et lui devaient une fière chandelle à Daniel Langlois et à son complexe inspirant.

Et aujourd'hui, 15 ans après l'ouverture de ce lieu qui a tant fait pour la renaissance du cinéma indépendant d'ici et d'ailleurs et pour la richesse culturelle montréalaise, il faudrait y renoncer? Il faudrait accepter que le complexe soit transformé en condos ou en épicerie fine et que Montréal apprenne à se passer des trois meilleures salles de cinéma en ville?

Je suis consciente que les problèmes de l'Excentris ne datent pas d'hier. Le complexe traîne une dette de 4 millions auprès de la SODEC depuis des années, dette dont les intérêts de 200 000$ seront acquittés jusqu'à l'été prochain par le ministère de la Culture du Québec. Je suis consciente que le gouvernement du Québec a déjà beaucoup donné, mais il peut encore apporter sa contribution. Il l'a fait dans d'autres circonstances pour des montants pas mal plus substantiels que 4 millions. Idem pour le gouvernement du Canada. Le Bell Lightbox de Toronto a reçu 25 millions de Patrimoine canadien au moment de sa construction.

Vérification faite, l'Excentris n'a jamais reçu le moindre sou du fédéral. Peut-être que Mélanie Joly, la nouvelle titulaire du Ministère, pourrait essayer de rattraper le temps perdu en se portant au secours de ce joyau technologique et en l'aidant à sortir de sa tourmente financière. Une tourmente qui a été provoquée en grande partie par les distributeurs, québécois et étrangers, qui gèrent le marché montréalais depuis Toronto ou Los Angeles, en offrant leurs primeurs à la chaîne Cineplex et en privant l'Excentris de films forts comme Room, Sicario ou le dernier Tarantino.

D'ailleurs, si l'Excentris a fermé ses portes mardi, c'est à cause de seulement quatre films, quatre films porteurs que les distributeurs ont refusé de leur donner en distribution. Les recettes de ces quatre films auraient permis à l'Excentris d'être solvable et de renflouer ses coffres pendant la période des Fêtes. Mais les distributeurs préfèrent protéger les conglomérats comme Cineplex plutôt qu'un petit acteur comme l'Excentris.

Il y a deux ans, les gestionnaires des trois salles avaient imaginé un plan de relance qui semblait promis à un bel avenir. Il a échoué. Ils ont sans doute une part de responsabilité dans cet échec, mais elle incombe aussi à une foule d'autres facteurs et d'intervenants, notamment l'administration municipale montréalaise, qui a paralysé le boulevard Saint-Laurent pendant deux ans et accéléré le déclin de l'artère et la fermeture massive de ses commerces. Encore à ce jour, le boulevard ne s'est pas remis des travaux qui l'ont asphyxié pendant trop longtemps.

Il y a six ans, je m'étais trompée. La fermeture de l'Excentris, ce n'est peut-être pas la fin du cinéma à Montréal, mais ça sera à coup sûr le début de la fin d'une métropole culturelle qui ne sait pas défendre ses acquis ni protéger ses joyaux.