Pourquoi le rôle de Marie Lamontagne dans Unité 9 a-t-il été offert à Guylaine Tremblay plutôt qu'à une actrice noire, arabe ou sri-lankaise? Pourquoi la vaste majorité des personnages de téléromans et de séries québécoises sont-ils, à quelques exceptions près, incarnés par des Caucasiens?

Pourquoi dans les jeux-questionnaires, habituellement animés par de gentils animateurs blancs, les participants sont des acteurs et des humoristes aussi blêmes qu'eux? Pourquoi le modèle d'animatrice de l'heure est une femme aux cheveux blonds ou platine et au teint plus pâle qu'une aspirine?

Pourquoi? Parce que nous sommes en 2015 et que, n'en déplaise à Justin Trudeau, la diversité est une belle idée dont se drapent beaucoup de décideurs sans lui donner vie. Ceux-ci répètent ad nauseam combien cette diversité est nécessaire, souhaitable et souhaitée. Concrètement, pourtant, ils ne font rien, strictement rien, pour l'implanter.

Dans un long texte paru dans le magazine du New York Times, la journaliste Anna Holmes estime que de la Silicon Valley jusqu'à Hollywood en passant par le milieu de l'art et de l'édition new-yorkais, trop de décideurs se contentent d'entonner joyeusement le mot diversité, convaincus que sa mention est l'équivalent de son application au quotidien.

C'est ce qu'on appelle se faire du capital politique sur le dos de la diversité. Pour le reste, femmes, Noirs, Latinos, minorités visibles ou minorités sonores, ces mille et un visages de la diversité américaine demeurent, selon la journaliste, sous-représentés et sous-employés.

Ce n'est guère différent de ce côté-ci de la frontière, malgré les efforts à la fois symboliques et concrets de notre nouveau premier ministre.

C'est chouette de penser que nous avons désormais à Ottawa des ministres sikhs, autochtones, afghan et un nombre égal de femmes et d'hommes, mais auront-ils une influence sur notre façon de représenter notre société sur les scènes ainsi que sur les grands et les petits écrans? Rien n'est moins sûr.

Au Québec, Diversité artistique Montréal (DAM) multiplie les efforts auprès des décideurs du monde culturel pour donner une chance aux acteurs et actrices de la diversité, notamment avec ses Auditions de la diversité, qui se sont tenues deux années de suite en février au Quat'Sous.

Or, en 2016, les Auditions de la diversité auront lieu en même temps que les Auditions générales du Quat'Sous, la rampe de lancement de tous les finissants des écoles de théâtre.

C'est dire que la demi-douzaine de candidats de la diversité - souvent des autodidactes - vont se retrouver sur la même scène, en même temps et à égalité, avec les finissants des écoles.

C'est une occasion qui semble pleine de promesses. Le hic, c'est que les finissants auront entre trois et quatre années de formation dans le corps alors que les candidats de la diversité auront reçu une formation éclair d'à peine trois mois.

À moins d'un talent naturel spectaculaire et rare, ces aspirants acteurs vont avoir toutes les difficultés du monde à rivaliser avec leurs camarades des écoles de théâtre. Est-ce vraiment leur rendre service?

DAM a dressé un bilan des premières Auditions de la diversité. En 2014, une cinquantaine de gens du milieu de la production, puis 20 de plus en 2015, ont assisté aux Auditions de la diversité. C'est un nombre aussi respectable qu'impressionnant où se mêlaient des agents d'artistes comme des représentants des diffuseurs, des écoles, des maisons de production et des théâtres.

Le résultat? Sur les sept candidats des auditions de 2014, deux ont obtenu deux premiers rôles dans deux productions différentes. Les autres? Des seconds rôles, des figurations, des rôles muets et des auditions qui n'ont pas débouché sur des engagements fermes.

La cuvée de 2015 n'a guère eu plus de chance. La moitié des 11 candidats s'est plus ou moins retrouvé le bec à l'eau, obtenant une audition par-ci par-là, mais pas vraiment de contrat. Pour au moins trois candidats, le bilan est encore plus inquiétant: pas encore de retombées, dit le rapport final de DAM.

Bref, malgré les meilleures intentions de l'organisme et de son vaillant directeur, Jérôme Pruneau, l'avenir de la diversité chez nous n'apparaît pas très reluisant. D'autant plus que chaque année, les écoles de théâtre libèrent sur le marché environ 75 nouveaux finissants qui viennent s'ajouter aux cohortes précédentes et grossir les rangs des jeunes acteurs au chômage.

Dans de telles conditions, comment les acteurs et actrices de la diversité peuvent-ils espérer un jour se tailler une place dans le métier? La réponse est simple et elle ne dépend pas d'eux. Elle dépend du reste de la chaîne de production.

Car quoi qu'on en pense, la diversité ne s'arrête pas aux visages qui l'incarnent. En réalité, la diversité finit avec eux sur la scène, sur le grand ou le petit écran.

Avant d'arriver à cette étape, ce qui manque cruellement à la diversité, ce sont des auteurs, des scénaristes, des réalisateurs et des producteurs issus de la diversité qui auront envie de raconter leurs propres histoires ou, du moins, qui seront sensibles à d'autres énergies et à d'autres couleurs.

Une recrudescence de ces créateurs, qui n'ont pour l'instant pas de voix, de tribune, ni de pouvoir, serait un premier grand pas en avant: le premier mais pas le dernier. Car ultimement, ce que demandent les acteurs et actrices de la diversité, c'est qu'on les accepte tels qu'ils sont, sans égard à leur race, leur couleur ou leur accent. Ce qu'ils demandent, au fond, c'est que l'on devienne tous un peu des daltoniens de la diversité et que l'on confonde les couleurs au point de ne plus les distinguer.

En 2015, bientôt 2016, il me semble que ce n'est pas trop demander.