Justin Bieber n'a qu'à bien se tenir. Il y a désormais un Justin canadien bien plus hot et bien plus puissant que lui. Et n'en déplaise aux présentateurs de bulletins d'information de la France, ce Justin-là ne s'appelle pas Justine ou Justeen. C'est un vrai Justin qui rime avec Tintin, nommé ainsi un 25 décembre 1971 pour des raisons qui ne regardent que ses parents.

Trêve de plaisanterie, depuis qu'il a été élu premier ministre - pour ne pas dire politicien le plus sexy de la Terre (selon le Mirror) - et qu'on se fascine pour ses cheveux ou son tatouage à tête d'aigle, Justin Trudeau ne cesse de m'épater. J'écris cela sans ironie aucune et sans même avoir voté pour lui.

C'est que depuis mardi, on a la nette impression que le Canada revit, qu'un vent de fraîcheur souffle sur ces froides et ternes contrées, que les Canadiens ont rajeuni de 20 ans et qu'ils viennent de sortir du goulag du malaise, de la maladresse et du manque de naturel, malheureuses marques de commerce de Stephen Harper.

Pour l'instant, Justin Trudeau n'est qu'une image, mais quelle image !

Dans la succession de photos et de vidéos qu'il nous a livrée cette semaine, il y avait de quoi justifier l'acronyme très vulgaire qui a fait son apparition sur les réseaux sociaux : « PILF », comme dans « prime minister I'd like to f... ».

C'est fou, dans la mesure où, entre dimanche dernier et le jour des élections, Justin Trudeau n'a pas changé, ni radicalement ni minimalement. Il est resté ce qu'il est depuis toujours : un homme de terrain qui n'est jamais aussi à l'aise et épanoui que lorsqu'il est au milieu d'une foule attroupée autour de lui.

Il y a un an presque jour pour jour, je l'ai rencontré dans le cadre de sa tournée de promotion pour son autobiographie Terrain d'entente.

Au bénéfice du photographe de La Presse, je l'ai vu plonger dans la foule sur la place d'Armes et quasiment courir après les gens pour leur serrer la pince, heureux comme un poisson dans l'eau. « Le terrain, c'est l'essence de qui je suis et de qui je veux être », m'avait-il affirmé avec conviction.

Le terrain, c'est la grande force de Justin Trudeau, mais c'est surtout le lieu symbolique où il ne souffre pas de la comparaison avec son illustre père qui ne détestait pas faire des pirouettes devant les caméras, mais qui ne prenait aucun plaisir à jouer le jeu de la démocratie directe en serrant des millions de mains dans les soupers souvlaki.

On n'aurait jamais vu Pierre Elliott Trudeau débarquer à 8 h du matin au métro Jarry pour aller saluer les électeurs de Papineau. D'ailleurs, savait-il même où se trouvait Papineau ? Avait-il même déjà pris le métro ?

Le geste de son fils - son tout premier au lendemain des élections - fut proprement stupéfiant. Du jamais vu ! Un mélange d'élégance et de démagogie, de générosité et de calcul politique, bref du grand art médiatique.

On s'entend qu'après l'éreintante campagne qu'il a menée tambour battant pendant plus de deux mois, Justin Trudeau aurait bien mérité un semblant de grasse matinée avec sa femme Sophie, un simili repos avec ses enfants. Mais non. Le terrain et la drogue bienfaisante des selfies, l'appelaient en pleine heure de pointe au métro Jarry.

Ce qui frappe aussi chaque fois que Justin Trudeau apparaît sur la scène publique, que ce soit au coin d'une rue ou au milieu d'un rassemblement militant, c'est son extraordinaire aisance avec lui-même et avec les autres. Là où, en public, Stephen Harper était coincé, constipé, psychorigide au point, dans un réflexe de pure panique, de serrer la main de son fils en le déposant à l'école, Justin est naturel, confortable, fluide, sans complexes et sans embarras.

À son contact, on se détend au lieu de se contracter. Ça fait une meilleure ambiance et de merveilleuses photos. Et, côté photos, autant dire que les journaux du monde entier ne se sont pas privés.

Reste que dans l'enthousiasme de ce nouveau rapport avec le nouveau venu, on peut quand même se poser une question : ce que Justin Trudeau nous a donné à voir de lui-même cette semaine, était-ce une image juste ou juste une image (pour paraphraser Jean-Luc Godard) ? Cette image est-elle une simple façade qui masque un grand vide ? Un trompe-l'oeil qui cache d'immenses déceptions ou l'avènement d'un réel espoir de changement ? Les mois et les années à venir finiront bien par répondre à la question.

En attendant, le Canada, ce pays de froides et mornes contrées, vient de se donner un premier ministre en forme de rock star. Après 10 ans d'abstinence et de contrition, ça fait du bien. Profitons-en pendant que ça passe.