Si Jack Layton a gagné ses élections au Québec après son passage à Tout le monde en parle, alors ça ne serait pas étonnant qu'il en soit de même pour Matricule 728 et son procès pour voies de fait qui doit se tenir au printemps. Ma main au feu qu'elle le gagnera: elle l'a déjà gagné.

Depuis son passage à la messe du dimanche soir, Matricule a en effet bénéficié d'un capital de sympathie sans précédent qui a complètement transformé son image publique.

La policière s'en étonnait elle-même la semaine dernière. En tournée de promotion pour son livre Servir et se faire salir, elle a déclaré à la journaliste du Quotidien de Chicoutimi: «Jamais je ne me serais attendue à ça. [Depuis TLMEP], j'ai reçu des encouragements, des commentaires via les réseaux sociaux, des lettres. Les gens sont super sympathiques. Ça me redonne confiance en la société.»

Toujours cette semaine, une photo de Matricule, guitare à la main, encadrée des deux gratteux de guitare du duo Blé, a fait le tour des médias. Non seulement les musiciens encadrent affectueusement Matricule, mais l'un d'eux la gratifie de plus d'un baiser complaisant sur la joue.

Je serais curieuse de savoir ce qu'en pense Serge Lavoie, le camarade artiste que Matricule a failli étouffer avant de le précipiter dans les escaliers du local de l'avenue Papineau, mais ça, c'est une autre histoire, presque une vieille histoire en somme. Une nouvelle histoire l'a remplacée: la rédemption publique de Matricule 728.

«Bravo Matricule 728. Fière de toi. J'ai acheté ton livre et je comprends», écrit Ginette Patenaude sur Facebook. Un message parmi tant d'autres qui indique que le vent a tourné et fait du monstre une victime et ultimement une vedette. Je vois déjà le film, la série télé et peut-être même la comédie musicale: Matricule 728 superstar.

Comment expliquer ce revirement spectaculaire? Notre inconstance collective? Notre amour des victimes qui font pitié? Oui, évidemment, il y a de cela dans l'espèce de mouvement de solidarité spontanée qui s'est opéré sur les réseaux sociaux après le passage et, selon certains, le «matraquage» de Matricule par les animateurs et les invités de TLMEP, en particulier par Patrick Huard et Philippe Falardeau.

Mais il y a surtout que Matricule a livré une performance impeccable avec naturel, authenticité et juste ce qu'il faut d'humour et d'autodérision pour que l'image de la brute violente et méprisante des vidéos se désagrège et soit remplacée, comme par magie, par une image plus humaine: celle d'une policière, d'une vraie, qui n'a fait que son métier.

Et comme Matricule s'est défendue avec aplomb et candeur, c'était difficile de lui résister. Elle m'a beaucoup fait penser à Rambo Gauthier, ce dur à cuire qui avait la réputation de terroriser certains ouvriers sur les chantiers de construction de la Côte-Nord.

Il était accablé par l'émission Enquête, mais un seul passage à TLMEP l'a lavé de tout soupçon et a révélé son coeur, là où on n'avait vu que du muscle et de l'abus de pouvoir. C'est le même phénomène pour Matricule: on a tellement vu son pire côté en boucle à la télé qu'on en avait déduit qu'elle n'était que ce bloc monstrueux, dégoulinant de violence, de mépris et de gaz poivre. On vient de découvrir son autre côté et on est encore sous le charme de la nouveauté.

Je ne sais pas qui a préparé Matricule avant son passage à TLMEP. Si c'est son avocat, Jean-Pierre Rancourt, il a fait du bon travail. Idem pour Bernard Tétrault, celui qui a pris les huit gros cahiers écrits à la main par Matricule à Saint-Martin, dans les Caraïbes (rien de trop beau pour la classe policière), pour en faire un récit pas trop mal écrit.

En le parcourant, j'ai toutefois retrouvé ce qui me chicotait avec Matricule et pourquoi elle m'est difficilement sympathique. Une police est une police et Matricule est une police, pur jus, pour ne pas dire, pure force brute.

Du temps qu'elle était au poste 22, elle raconte qu'elle aimait aller dans les piqueries pour y faire le ménage. «Je les visitais à tous mes quarts de travail même si elles étaient fréquentées par la lie de la société», écrit-elle.

Plus loin, en parlant de cette clientèle multipoquée, elle utilisera le mot racaille. Les abonnés des piqueries ont certes des problèmes, mais une agente de la paix, car c'est cela aussi son métier, devrait-elle les traiter de racaille et de lie de la société? Je ne crois pas.

Son récit des fameux incidents d'octobre, avenue Papineau, est aussi éloquent. Son quart de travail est presque terminé lorsqu'elle aperçoit un groupe d'hommes sur le trottoir, avenue Papineau. «Notre but n'est pas de prendre les gens en défaut, mais seulement de s'assurer que tout est en ordre», écrit-elle, ajoutant qu'en s'approchant du groupe en voiture de patrouille, elle a remarqué qu'un des hommes avait une bière à la main.

En apercevant les policiers, l'ami du buveur de bière lui conseille de rentrer dans l'immeuble. «On est sortis immédiatement et on s'est approchés au pas de course pour l'empêcher de fuir», écrit-elle. Notez le mot: fuir. Le gars vient de comprendre qu'il n'a pas le droit d'être là avec sa bière. Il ne fuit pas. Il se soumet au règlement. Mais aux yeux de la policière, il fuit. De cette interprétation abusive d'un geste naîtra une quasi-tragédie. Est-ce vraiment cela que l'on demande à nos policiers? De gaspiller du temps, de l'énergie et notre argent à courir inutilement après un buveur de bière?

Matricule 728 est peut-être bien sympathique, mais si c'est cela être une policière passionnée par son métier, ce n'est rendre service à personne, ni à elle-même ni à la société.