Même pas deux années complètes et c'est déjà fini? Si tôt dans l'histoire?

L'annonce, vendredi matin, du départ de Marie-France Bazzo à la barre de l'émission du matin à la radio de Radio-Canada était pour le moins inattendue et presque choquante.

Pendant quelques brèves secondes, j'avoue en avoir perdu mes mots. Non pas parce que je croyais que Marie-France animerait C'est pas trop tôt pendant 100 ans. Si je me souviens bien, d'entrée de jeu, l'animatrice avait laissé entendre qu'elle ferait au maximum une décennie. De là à jeter l'éponge avant même la fin de la deuxième année...

Car Bazzo n'accrochera pas son micro comme tous les autres animateurs à la Saint-Jean. Non. Vendredi prochain, juste avant le congé de Pâques, elle animera sa dernière émission. Elle quittera donc son poste deux mois et demi plus tôt que prévu.

Mais que s'est-il donc passé pour précipiter son départ à ce point-là? Ses cotes d'écoute n'étaient pas mauvaises. Loin de là. Les quelques vieux auditeurs qu'elle avait perdus avaient vite été remplacés par des auditeurs plus jeunes, ce qui n'était pas sans plaire à la direction de la radio. La plupart de ses critiques qui, au départ, lui reprochaient sa froideur et son manque d'empathie radiophonique avaient fini par s'habituer au tourbillon de son émission.

Alors quoi? Dans le communiqué laconique diffusé par Radio-Canada, la patronne de la radio Patricia Pleszczynska écrit: «Nos orientations futures nous ont amenés mutuellement à tirer la ligne sur la matinale.»

Si je traduis cette explication pour le moins sibylline, je vois une divergence, mais qui dépasse la simple opinion. Dans les couloirs de la tour radio-canadienne, la rumeur veut qu'on ait demandé à Marie-France l'exclusivité de ses services. Autrement dit, qu'elle quitte l'animation de Bazzo.TV à Télé-Québec.

Or, comme par hasard, Marie-France a annoncé cette semaine que Bazzo.TV revenait pour une 10e saison l'automne prochain. Pas besoin d'être très futé pour voir un lien évident entre le retour de Bazzo.TV et son annonce, trois jours plus tard, de son départ de la matinale.

La direction avait-elle raison de demander un tel sacrifice à l'animatrice qui est aussi productrice d'émissions de télé? La question est légitime. D'abord parce que l'animateur de l'émission du matin est bien, très bien payé, pour sa peine et devrait donc s'y investir entièrement. Mais aussi parce qu'il n'y a rien de plus exigeant, physiquement, que d'animer cette foutue locomotive.

Or, ajouter à la charge et aux exigences physiques d'une émission matinale un surplus de travail, sous la forme d'une émission de télé de 90 minutes chaque semaine, n'est peut-être pas la meilleure des idées.

Marie-France en a fait la preuve par ses absences répétées du micro, quelques fois pour cause de maladie, y compris récemment pour une vilaine laryngite qui l'a éloignée de la télé et de la radio pendant deux grosses semaines. Elle avait beau se vanter de ne pas avoir besoin de beaucoup d'heures de sommeil, la réalité, c'est que se lever tous les jours à 3 ou 4 h du matin et faire un tas d'autres choses en parallèle finit par user le corps.

Animer l'émission du matin relève presque du sacerdoce. Pas sûre que Bazzo avait vraiment la vocation.

Ce qui m'amène à un dernier point: celui qui sépare la réalité du mythe. Le mythe, c'est qu'animer l'émission du matin, au public comme au privé, n'est pas seulement un métier, c'est le poste le plus prestigieux de la radio. On ne peut pas aller plus haut que ce poste-là en radio. Il est difficile pour quiconque de refuser une telle occasion dans une vie.

Tant et si bien qu'on peut affirmer, sans exagérer, que Marie-France Bazzo, une femme ambitieuse, a d'abord accepté ce poste-là et sa grande visibilité pour le prestige professionnel et social qui l'accompagne.

Sauf que... Le prestige est une chose, la réalité, une autre. Et la réalité, c'est que l'animateur du matin vit un peu en marge de la société, en raison de son horaire atypique, et sacrifie tout un pan de sa vie pour faire quoi, dans le fond? Diriger la circulation.

Pas pour réfléchir à la société dans son ensemble et en tirer des grandes lignes philosophiques. Pas pour changer le monde ni même les mentalités. Non, l'animateur du matin doit aller au plus pressant, éteindre quelques feux, donner la météo, servir le café et courir après l'actualité.

Autrement dit, la réalité de la tâche est beaucoup moins prestigieuse, amusante et sexy que le mythe. Je soupçonne Marie-France Bazzo d'avoir déchanté en prenant la mesure de cette réalité quotidienne et piétonnière.

C'est pourquoi, quand ses patrons l'ont mise devant le choix de continuer à leurs conditions ou d'arrêter, elle n'a pas hésité longtemps. Dans le fond, même si elle s'acquittait honnêtement de la tâche, elle n'était peut-être pas vraiment à sa place. Elle a fini par l'admettre. C'est tout à son honneur.