Il y a eu la bataille des plaines d'Abraham. Il y a depuis hier la bataille des accents opposant, de ce côté de l'Atlantique, l'animatrice Marie-France Bazzo et, de l'autre côté de l'océan, l'humoriste française Sophia Aram. Au coeur du litige, un monologue moqueur de Sophia Aram imitant un accent québécois proche du Massif central, livré sur les ondes de France Inter au beau milieu de l'Académie française devant un Dany Laferrière qui, pour une fois, ma foi, semblait bouche bée.

L'humoriste de 42 ans, qui n'en est pas à sa première parodie québécoise, se présente dans le monologue comme une prof de l'Université de Montréal qui parle comme Françoise Durocher, waitress. Elle s'interroge sur la pertinence d'une Semaine de la langue française tandis que, tout autour, ces messieurs dames de l'Académie se bidonnent, sauf Dany. Du moins au début.

Il n'en fallait pas plus pour que Marie-France Bazzo se sente insultée et dénonce le sketch sur Twitter. «Des français rigolent de notre accent sous l'oeil d'un Immortel. Malaise et complaisance...», a-t-elle écrit.

Sophia Aram n'a pas tardé à répliquer au gazouillis avec la bouche de son bazooka: «Dites-moi Marie France, vous seriez pas un peu "épaisse"?!!!», a demandé la baveuse qui, selon certains, faisait ici étalage de sa méconnaissance des subtilités de la langue québécoise.

À mon avis, Sophia Aram connaissait très bien la charge du mot «épaisse». Sur son mot clic #LaParodieTuConnais, j'ai découvert avec bonheur la vidéo de la chanson Le joual entonnée par un Mononc' Serge survolté qui fait une apologie du joual des plus hilarantes.

Personnellement, je ne connaissais pas ce bijou de vidéo ironique de Mononc' et sa bande qui se moquent des Français et qui, poing levé et chemise déchirée, hurlent que «le joual, c'est un tabarnac de coup de coude dans les côtes de la langue française». Je pense que je serai éternellement reconnaissante à Sophia Aram de me l'avoir fait découvrir.

Par ailleurs, je n'avais jamais entendu parler de Sophia Aram avant cette semaine. J'ai appris depuis que l'humoriste d'origine marocaine, qui tient une chronique humoristique sur France Inter et qui a donné des spectacles solos, aurait participé à la Coupe du monde d'impro de la LNI au Québec. Vérification faite, la LNI n'a aucune trace de son passage au Québec. Peut-être était-ce dans une autre vie.

Toujours est-il que s'il y a un reproche à adresser à l'humoriste française, ce n'est pas qu'elle se moque de l'accent québécois sans vergogne. Non, en ce qui me concerne, Sophia peut bien se foutre de notre gueule et de notre accent tant qu'elle veut. Si ça lui fait plaisir et que ça fait rigoler son public, tant mieux. Elle n'a qu'une seule condition à respecter: elle doit pouvoir imiter notre accent aussi bien que Gad Elmaleh, le seul Français de France qui a saisi la quintessence de l'accent québécois et qui le reproduit à merveille.

Or, Sophia Aram n'a pas la maîtrise de Gad. Elle réussit par brefs moments à imiter l'accent québécois avant de décrocher et de basculer dans un accent à mi-chemin entre soeur Angèle et Tino Rossi, quand elle ne tombe pas dans un accent inventé de Française qui manque d'oreille.

La recette pour maîtriser un accent, c'est d'aimer et d'être à l'écoute, m'a confié un jour Gad qui a vécu cinq ans au Québec et qui écouté son mentor linguistique, Richard Desjardins, jusqu'à plus soif. Sophia, elle, a encore beaucoup de croûtes à manger avant d'arriver à ce degré d'amour et d'écoute.

Pour le reste, je refuse de m'énerver le poil des jambes ou de péter un câble toutes les fois qu'un humoriste français ou serbo-croate choisit d'imiter notre accent. Loin de voir l'exercice comme un geste de mépris ou l'extension d'un colonialisme culturel centenaire, j'y vois une preuve d'affection plutôt flatteuse.

En fait, le vrai problème, ce ne sont pas ceux qui nous parodient. C'est la susceptibilité de notre épiderme identitaire face à leurs parodies. Il faut franchement manquer d'humour et être agité de gros complexes pour voir une attaque ou une offense dans une parodie.

On ne peut pas, d'un côté, défendre le droit de caricaturer Mahomet, affirmer haut et fort qu'on est Charlie, et se mettre à faire du boudin dans son coin parce qu'une petite comique quelque part a décidé de se moquer de notre accent. Je pensais que nous étions collectivement rendus plus loin que ça. Faut croire que non. Le jour n'est pas encore venu où un Français pourra imiter notre accent sans que nous en fassions une maladie et que nous nous sentions attaqués dans notre dignité.

Sophia était en ondes chez Marie-France mercredi matin à 8h20 pour répliquer à ses critiques. Si Sophia veut vraiment nous aider à nous libérer de nos complexes, je n'ai qu'un conseil à lui prodiguer: qu'elle vienne faire un stage prolongé au Québec pour travailler son accent québécois afin qu'il cesse d'en être une pâle imitation.