Réglons tout de suite une chose: il y a quelqu'un, quelque part, qui n'aime pas Joël Legendre. Plus important encore, ce quelqu'un avait le pouvoir de nuire à l'animateur-vedette et il ne s'est pas gêné. La fuite au Journal de Montréal de l'accusation pour indécence au parc Marie-Victorin dont a écopé l'animateur, le 4 septembre dernier, en est la preuve. Sauf que cela fait plus de six mois que l'affaire a eu lieu. Pourquoi sort-elle maintenant? A-t-elle été retenue pendant tout ce temps-là pour protéger certains intérêts? A-t-elle fait l'objet de tractations? Mystère...

Quoi qu'il en soit, depuis sa publication, en début de semaine, cette affaire a déchaîné les passions sur les réseaux sociaux et a même accouché d'un mot-clic: #JeSuisJoël.

Premier constat: la vaste majorité des intervenants des réseaux sociaux condamnent le quotidien pour avoir publié une info qui, selon eux, relève du domaine privé et dont la publication distille un fond discriminatoire à l'égard des gais puisque, toujours selon eux, si Joël Legendre n'était pas gai, cette histoire n'aurait jamais été révélée sur la place publique.

Deuxième constat: la vaste majorité des commentateurs des réseaux sociaux croient la version de Joël Legendre, à savoir qu'il a été surpris par la police en train d'uriner au parc Marie-Victorin, à Longueuil. Le fait que l'animateur vit à Rosemont et vient courir sur la Rive-Sud n'a troublé personne. Pas plus que le statut du parc Marie-Victorin, qui serait un lieu reconnu de drague gaie. Pas «mondialement reconnu», mais assez, tout de même, pour que le mot se passe et que les gais, célibataires ou pères de famille, viennent y batifoler la nuit ou en plein jour.

Que Joël Legendre ait choisi expressément ce parc-là pour «jogger» et éventuellement uriner ne sème pas le moindre doute dans l'esprit de ses défenseurs. Pas plus que les démentis mensongers qu'il a balancés aux journalistes qui lui ont tendu une embuscade dans le stationnement de Rouge FM. Legendre a attendu six heures avant de corriger le tir et d'admettre que, oui, il avait été accusé et avait plaidé coupable, mais seulement pour avoir uriné en public. Uriné? Ah bon?

Si Joël Legendre avait été obligé de passer un test d'urine pour prouver sa mauvaise foi, autant dire qu'il l'aurait réussi haut la main...

Cette affaire soulève évidemment toute la question de ce qui est d'intérêt public et de ce qui ne l'est pas. Or, à ce chapitre, je ne pense pas qu'il soit essentiel à notre vie collective de savoir que Joël Legendre s'est fait prendre en flagrant délit d'urinage dans un parc. Joël Legendre n'est pas un élu politique, un chef syndical, un magistrat, le directeur du CHUM ou le ministre de la Santé. C'est un animateur de variétés et de jeux-questionnaires. Ce qu'il fait de ses après-midis n'est pas de nos affaires et n'a aucune incidence sur notre destinée collective.

En même temps - et c'est là où ça devient difficile de défendre son droit à la vie privée -, il est une vedette populaire, très appréciée du public. À ce titre, il nous a invités dans sa vie privée à plusieurs reprises, dont tout récemment dans un épisode particulièrement larmoyant de l'émission Accès illimité. On y voyait Joël chez lui avec ses jumelles, son conjoint et son fils adoptif, valsant entre le biberon, les brassées, le souper et les changements de couche. Amen.

Depuis plusieurs années déjà, Joël Legendre fait un commerce de sa vie privée et nous vend ad nauseam son image de père adoptif et aimant. Puis l'image de la famille homoparentale qu'il a construite avec son conjoint après avoir eu recours à une mère porteuse. Pour lui comme pour un certain nombre de vedettes populaires, la frontière entre le privé et le public est quasi inexistante. C'est évidemment un jeu qui se joue à deux entre la vedette et son public. Le jeu n'est pas sans dangers, puisque la moindre parcelle d'information concernant la vedette, qu'elle soit d'intérêt public ou non, devient vite sujet de débat et de fascination. Parlez-en à Véronique Cloutier, qui a évité une contravention alors qu'un flic l'avait surprise à parler au cellulaire en conduisant. L'histoire de son passe-droit a fait le tour des médias de la province et lui a valu un certain opprobre populaire.

Dire que les vedettes sont victimes de leur succès est un euphémisme. De là à en faire des martyrs et à lancer des mots-clics comme #JeSuisJoël, il y a une indécence, pour ne pas dire une grossière indécence, à ne pas franchir. Mettre sur le même pied le meurtre de 12 innocents et un type qui fait pipi dans un parc relève de l'ignominie.

Joël Legendre peut bien faire ce qu'il veut de ses après-midis. Mais s'il se fait prendre les culottes baissées dans un parc en plein jour et que ça finit par se savoir et par être publié, il n'a que lui-même à blâmer. Le droit à l'information n'est pas un droit inaliénable, c'est vrai. Mais celui de pisser dans les parcs non plus.