Isabelle Hayeur, artiste engagée et une photographe inspirée, aime jouer avec le feu et allumer... de faux incendies.

En 2010, à l'Olympiade culturelle de Vancouver, la Québécoise a foutu le feu à un édifice du quartier le plus délabré de la ville, celui où trop de prostituées autochtones ont trouvé la mort. L'artiste a collé du papier transparent sur trois étages de baies vitrées sur lesquelles elle a projeté, un mois durant, les flammes d'un brasier.

L'apparence d'un incendie était si réussie que les pompiers ont été appelés à plusieurs reprises. Ils n'ont pas trop rouspété. Ils avaient été prévenus et avaient accepté de se prêter au jeu. Quant aux occupants des trois étages en feu, il s'agissait d'artistes numériques, ravis que les fenêtres de leurs bureaux deviennent de l'art public aussi enflammé.

Tout cela pour dire qu'à Vancouver, on n'a pas peur de l'art public qui met le feu aux poudres. À Montréal? C'est le contraire, si j'en crois ce qui est arrivé à Murs aveugles, la dernière oeuvre d'Isabelle Hayeur, une oeuvre coup-de-poing s'inspirant du mouvement Occupy et constituée de graffitis et de slogans comme «On parle à des murs», «Murs blancs, peuple muet» ou «Comment avez-vous pu laisser rétrécir vos vies?».

Commandée il y a un an, l'oeuvre vidéo de 15 minutes a été retirée subito presto le jour de l'inauguration de la Biennale de Montréal à cause des flammes qui y flambaient à la fin.

Les pompiers, cette fois, n'ont rien à voir dans l'histoire. Celle qui a demandé le retrait de l'oeuvre, c'est Mme Chow, la propriétaire du mur et du resto Bon blé riz qui le jouxte.

Mme Chow et son mari ont signé une entente avec le Quartier des spectacles, il y a deux ans, acceptant de prêter leur mur pour des projets d'art public. Une demi-douzaine ont déjà égayé leur vieux mur lézardé. Il n'y a jamais eu de problème. Puis, un dimanche soir de la fin d'octobre, le regard de Mme Chow a été happé par les flammes virtuelles d'Isabelle Hayeur qui léchaient son mur.

Mme Chow, une Chinoise qui a grandi au Vietnam, a vu dans cette image incandescente le présage d'un malheur. Le feu n'est jamais bien vu dans la culture asiatique. Elle a paniqué. «Ce feu, ça créait une mauvaise atmosphère pour les gens bizarres du coin», m'a-t-elle expliqué, ajoutant: «Si l'artiste avait coupé le feu à la fin, je n'aurais pas eu de problème avec le reste des images, vraiment pas, mais ce feu immense, ça me faisait trop peur.»

Le problème, ici, ce n'est pas la superstition ou les peurs de Mme Chow. Le problème, c'est que contrairement aux pompiers à Vancouver, Mme Chow, n'a jamais été consultée ni informée de la démarche d'Isabelle Hayeur avant de se retrouver le nez collé dessus.

Personne ne l'a prévenue que son mur allait accueillir une oeuvre différente des autres: pas une oeuvre décorative ou poétique, pas une affaire «cute» de luminothérapie, mais une oeuvre forte, dérangeante, qui pose des questions au lieu de se contenter de faire de l'animation.

C'était aux gens du Quartier des spectacles de préparer le terrain et de faire en quelque sorte l'éducation de Mme Chow, une dame par ailleurs charmante. Mais de toute évidence, les gens du Quartier des spectacles dormaient au gaz. Quand ils se sont réveillés, ils ont fait ni une ni deux: ils ont immédiatement retiré l'oeuvre d'Isabelle Hayeur sans même tenter de raisonner Mme Chow ou de chercher à engager un dialogue entre les deux femmes.

Au lieu de prendre la défense de l'artiste, ils ont tué son oeuvre, la broyant sous l'argument massue de la primauté de la propriété privée.

Or, s'il est vrai que l'art, qui s'inscrit dans l'espace public, ne peut être entièrement libre et affranchi et doit tenir compte des contraintes de l'environnement, il offre l'occasion idéale pour faire l'éducation du public, lui ouvrir l'horizon et l'aider à surmonter ses peurs et ses superstitions.

Malgré la pétition sur l'internet qui demande le rétablissement de la projection de Murs aveugles, il y a peu de chances qu'on revoie l'oeuvre sur le mur de Mme Chow ou ailleurs à Montréal. Qu'à cela ne tienne. Isabelle Hayeur espère pouvoir présenter son oeuvre à l'étranger. Une invitation à Madrid devrait se confirmer bientôt. D'autres villes s'ajouteront en cours de route, des villes qui n'ont pas peur de l'art qui dérange et met le feu aux poudres.

On n'en parle pas assez

Des journalistes de Radio-Canada de Sherbrooke qui ont osé refuser le prix que le président Hubert Lacroix était venu leur remettre pour leur couverture de la tragédie de Lac-Mégantic. Refuser le prix du président? Un précédent dans les annales radio-canadiennes et le signe que les relations entre le président et ses employés vont s'envenimer avant de s'améliorer.

On en parle peu

De la très rare et franche entrevue que Guy Laliberté a accordée à Josélito Michaud pour sa série sur la gloire à Télé-Québec. Laliberté a annoncé qu'un jour il quitterait la direction du Cirque du Soleil et ne céderait pas les commandes à ses enfants. Mais le plus surprenant, c'était son français clair et impeccable, à des années-lumière du charabia qu'il nous a déjà servi. Aurait-il profité de son séjour dans l'espace pour parfaire son français? Si oui, c'est réussi.