Mon tout, tout premier disque? Un 45-tours des Beatles acheté chez Shopper's City à Ottawa. Titre de la chanson en face A? She Loves You.

Vous dire les frissons et le flot d'adrénaline qui m'ont parcourue alors que je courais comme une folle avec mon butin dans la rue avant d'entrer chez moi avec l'impétuosité d'un ouragan. Le souffle court, les mains moites, j'ai délicatement levé le bras du tourne-disque, puis j'ai tout aussi délicatement déposé l'aiguille sur la rondelle noire de vinyle percée au milieu d'un centreur en plastique jaune serin.

Vous dire le bonheur d'écouter «She loves you yeah yeah, yeah» s'élever et remplir la pièce comme l'eau d'un bain, puis répéter l'exercice une fois, deux fois, cent fois, jusqu'à ce que les parents excédés me coupent le robinet du son.

Deux ans plus tard, je délaissais déjà les 45-tours pour les albums avec la même frénésie, le même appétit et la même anticipation. Je me souviens d'un album en particulier, celui de Procol Harum, paru en 1967. Je l'ai acheté en vacances en Floride. Faute d'avoir un tourne-disque à portée de main, je l'ai regardé, cajolé, caressé, désiré sans pouvoir le faire jouer pendant un mois. Un mois complet!

Comment imaginer cela aujourd'hui, alors que la musique est accessible partout tout le temps, alors qu'un simple clic remplace une course chez le marchand de disques, alors que de toute façon il n'y a plus de marchands de disques et que les tourne-disques sont des dinosaures élevés au rang d'artefacts préhistoriques dans les musées ou en vente libre dans toutes les boutiques hipsters de la ville?

Je suis encore ébahie de constater qu'en l'espace de quelques décennies, je suis passée d'un disque en vinyle cassable, rayable et pas toujours disponible à un ovni musical dématérialisé et accessible en tout temps sous le nom de Rdio, Spotify ou Google Play Music.

Moyennant un abonnement de 10$ par mois, je peux désormais avoir accès à des millions de chansons et d'artistes d'ici et d'ailleurs, lesquels seront payés des pinottes pour leur musique, mais qui pourront se consoler en se disant qu'au moins, ils sont écoutés.

Le phénomène de la musique dématérialisée est bien entendu irréversible. Or, sans vouloir revenir en arrière ni même prétendre que c'était mieux avant, on peut quand même s'interroger sur ce que nous avons perdu et gagné dans le processus.

Ce que nous avons gagné? Du temps, une gratification instantanée, un anesthésiant sur demande, un univers musical dans lequel nous pouvons nous réfugier 24 heures sur 24, une trame sonore continuelle de nos gestes au quotidien et la liberté d'écouter ce que nous voulons quand nous le voulons.

Ce que nous avons perdu? Le silence, l'attente, le désir, le manque, la manipulation d'un objet concret, le plaisir de l'anticipation, la plénitude ressentie après avoir obtenu ce dont on a été privé et qu'on a désiré longtemps.

Dans Bruits, livre phare paru en 1977, Jacques Attali, ex-conseiller des présidents Mitterrand et Sarkozy, écrivait que la musique est prophétie. «Dans ses styles et son organisation économique, elle est en avance sur le reste de la société parce qu'elle explore, dans un code donné, tout le champ du possible plus vite que la réalité matérielle ne peut le faire.»

Attali croit aujourd'hui que la musique enregistrée rendue accessible par l'internet n'a plus aucune valeur marchande et ne sert qu'à vendre des concerts et des spectacles vivants. Il n'est pas le premier à le constater: avant, les concerts servaient à vendre les disques; maintenant, c'est le contraire, ce qui n'est pas plus mal. À une condition: que la trame musicale qui joue en permanence dans notre univers intime ne finisse pas par faire de nous des zombies anesthésiés à mort avec un coeur virtuel et un grand vide intellectuel entre les deux oreilles.

On n'en a pas assez parlé

De Luc Laporte, merveilleux architecte de l'urbanité montréalaise, disparu en 2012, à qui l'on doit des restaurants iconiques de Montréal comme l'Express, le Leméac, feu Le Lux, le Café du Nouveau Monde, le Holder, le Laloux et d'autres lieux comme la boutique Arthur Quentin, le Club Soda ou la SAT. Le 1700 La Poste, qui fut aussi son dernier projet, lui rend hommage avec une expo de photos, de croquis et de maquettes. Jusqu'au 20 décembre au 1700, Notre-Dame Ouest.

On en a trop parlé

De l'Ebola. En vérité, cela fait plus de 20 ans que le journaliste Richard Preston, auteur de Virus, nous terrorise avec l'Ebola, symptôme selon lui de la révolte de la Terre qui se venge en fabriquant un poison immunitaire contre la race humaine. En 1995, Virus (traduction de The Hot Zone) avait été sur la liste des best-sellers pendant près d'un an. Il est peut-être temps de le relire.