Des fois, les choses ne bougent pas pendant des années, figées dans la gangue de l'inertie. Et puis tout à coup, les choses se précipitent et changent le cours de l'Histoire. C'est ce qui vient de se produire au Conservatoire de musique et d'art dramatique du Québec. Après 16 ans de règne et de déficits accumulés, Nicolas Desjardins, le directeur général, a annoncé mardi qu'il partait. Enfin!

Notez qu'il n'a pas annoncé qu'il démissionnait, comme l'a fait le président du conseil d'administration quelques heures plus tôt. Non, monsieur Desjardins ne démissionne pas. Il va voir ailleurs s'il y est.

Notez aussi que la veille, monsieur Desjardins a congédié son directeur général des opérations Richard Chevalier, un geste pour le moins étrange de la part d'un patron qui est sur le point de partir. Ou peut-être ne savait-il pas qu'il allait partir. C'est une hypothèse...

Richard Chevalier m'a envoyé un courriel hier: «Je suis le dgo [directeur général des opérations] que Nicolas Desjardins a décidé de limoger hier soir à 17h pour lui avoir tenu tête au cours des deux dernières années. Sans cela, les dommages auraient été encore plus importants», m'a-t-il écrit.

Je pense que monsieur Chevalier cherchait un peu par ce courriel à protéger sa réputation. En réalité, son poste est menacé d'abolition depuis juin. C'était une des recommandations du rapport Goyette. Le rapport quoi?

La semaine passée, mon collègue du Soleil, Simon Boivin, a eu le bonheur de mettre la main sur le rapport Goyette, rapport commandé par l'ex-ministre Maka Kotto à Monique Goyette qui pendant quatre petits mois, fut aussi présidente du C.A. du Conservatoire. «Lorsque ce dossier m'a été confié, écrit-elle, le ministère considérait qu'il y avait eu plusieurs rapports et de nombreuses demandes réitérées au Conservatoire afin de redresser la situation financière. Le ministère considérait ne pas avoir la pleine collaboration du Conservatoire et n'avait plus confiance aux informations financières transmises et considérait inacceptable que cette situation perdure.»

Autant dire que comme préambule, madame Goyette n'y allait pas de main morte. Manque de chance, elle a été remerciée par la ministre David dans ce qui avait toutes les apparences d'une décision partisane. Ce n'était pas le cas. Le problème de Monique Goyette, c'est qu'en même temps qu'elle était nommée présidente du C.A., on la payait 90 000$ pour enquêter sur les finances du Conservatoire, la plaçant dans une position assez intenable, merci.

Reste que son rapport est une mine d'or d'informations qui détaille avec précision la lente dégradation financière du Conservatoire. On y apprend que pour l'année 2008-2009, alors que le déficit du Conservatoire commençait à gonfler dangereusement en raison des travaux effectués sur l'établissement de Montréal, le ministère de la Culture a augmenté sa subvention annuelle de 1,6 million. Or que fait Nicolas Desjardins avec ce cadeau du gouvernement?

«Plutôt que de profiter de l'augmentation de la subvention pour équilibrer son budget, le Conservatoire a augmenté ses dépenses et sa masse salariale», note le rapport. Idem pour l'année 2012-2013 où malgré les compressions du gouvernement dans le secteur public, la masse salariale au Conservatoire connaît une nouvelle hausse de presque 1,5 million. Allo! Y a-t-il un comptable dans la salle?

Monique Goyette confirme que le Conservatoire est sous-financé, mais elle déplore que la direction générale ait pendant toutes ces années augmenté ses dépenses en faisant comme si de rien n'était. «La direction actuelle a besoin d'encadrement au plan de la gestion», note-t-elle dans le rapport. Elle souligne aussi un déséquilibre entre l'académique et l'administratif: «Globalement, écrit-elle, on observe que les cadres de la fonction académique sont classés à des niveaux inférieurs à ceux occupant une fonction administrative, ce qui ne semble pas dans l'ordre des choses». Et comment!

Une de ses recommandations est d'ailleurs d'abolir deux postes administratifs (dgo et directeur des ressources humaines) et, surtout, de ramener l'académique plutôt que l'administratif au coeur du Conservatoire.

Mais Nicolas Desjardins avait d'autres plans et un projet bien plus grandiose: fermer tous les conservatoires en région pour faire de Montréal la grande antenne pour la musique et l'art dramatique. C'est ce qu'il a tenté de faire avaler à son conseil d'administration et ultimement à la ministre. Pour une fois, une rare fois en 16 ans, ses désirs ne sont pas devenus des ordres, mais la corde pour le pendre. On peut présumer que, lundi, s'il a congédié son dgo, c'était pour sauver sa peau. La politique en a décidé autrement et l'a renvoyé sur une tablette au Ministère.

Son départ marque à coup sûr le début d'une nouvelle ère pour le Conservatoire. Déjà au bureau de la ministre, on s'active pour trouver un nouveau directeur général, quelqu'un qui saura contrôler ses dépenses, gérer ses déficits, mais surtout ramener la musique au coeur du Conservatoire. Il était temps.