Il y a des domaines artistiques où, malgré leur grande culture, les Français sont en retard. La musique pop en est l'exemple le plus criant. Mais à l'inverse, il y a des domaines où ils excellent.

À cet égard, le film politique est une de leurs forces. Depuis Le président d'Henri Verneuil, sorti en 1961 et mettant en vedette un très présidentiel Jean Gabin, jusqu'à la toute récente farce politique Quai d'Orsay en passant par l'excellent film franco-belge L'exercice de l'État, L'ivresse du pouvoir de Chabrol, Le promeneur du Champ de Mars sur Mitterand et La conquête sur l'élection de Sarkozy, les cinéastes français ont examiné plusieurs facettes du pouvoir et plusieurs types d'hommes politiques - et la plupart du temps avec succès.

Ainsi en est-il du film Un homme d'État, du réalisateur français Pierre Courrège, présenté en compétition officielle au Festival des films du monde (FFM), hier.

La prémisse est simple: le président Vanier (savoureux Patric Braoudé), un mélange de Sarko, de Berlusconi et de Hollande (pour le look), est sur le point de perdre ses élections. Pour éviter la chute, il doit absolument faire une alliance avec «un gros mammifère», comme il le dit lui-même. Il a le choix entre tendre la main à l'extrême droite ou se tourner vers la gauche.

Sur un coup de tête (ou de dés), il porte son choix sur un vieux lion de la gauche retiré sur ses terres dans le Gers, un dénommé Bergman, interprété avec finesse et roublardise par Pierre Santini.

Une jolie émissaire sera dépêchée dans le Gers pour convaincre le vieux loup, qui est en fin de compte un fin renard, de renoncer à ses idéaux de gauche et d'embarquer dans le train, pour ne pas dire dans le char d'assaut, du président. Il résistera longtemps, se laissera désirer, lancera des signaux contradictoires, soufflera le chaud et le froid, tout ça pour une finale assez étonnante, merci.

Le scénario de François Begaudeau, qui interprète le rôle d'un journaliste, est bien ficelé, mais ce sont ses dialogues à la fois incisifs et ciselés qui font notre bonheur. Des dialogues comme il ne s'en écrit plus, ou de plus en plus rarement.

À l'issue de la projection, le réalisateur a affirmé au public dans la salle que son film n'était ni à droite ni à gauche, qu'il était plutôt une sorte de leçon sur l'éthique, les stratégies politiques et les grands détours que les politiciens doivent parfois prendre pour arriver à leurs fins et assurer la pérennité de certaines idées. Pour ma part, j'y ai quand même vu un parti pris pour la gauche, ce qui n'était pas pour me déplaire.

Tourné en grande partie dans le Gers en 2011, le film a failli ne pas voir le jour après la faillite d'un des producteurs. Mais heureusement, il a été sauvé du naufrage. Montréal l'a vu en première mondiale. Espérons qu'un distributeur d'ici aura envie de mettre la main dessus.

La patience a ses limites

Le réalisateur allemand Christian Wagner a présenté son premier long métrage au FFM il y a 25 ans. Faut croire que l'expérience a été agréable et mémorable, puisqu'il est revenu au FFM à quatre autres reprises. Il est de retour cette année dans la compétition avec le film Les limites de la patience, basé sur une histoire vraie. Celle d'une juge au tribunal de la jeunesse allemand, qui n'est pas sans rappeler notre Andrée Ruffo.

À Berlin, au début des années 2000, Kirsten Heisig a déclenché une petite révolution judiciaire en refusant la lenteur et l'indifférence bureaucratiques et en mettant au point un système plus efficace pour juger les mineurs et les ramener dans le droit chemin - surtout les mineurs arabes.

Comme la juge Ruffo, Kirsten Heisig était une femme de caractère, qui n'avait pas froid aux yeux et qui ne s'en laissait pas imposer, que ce soit par le système judiciaire ou par les petits criminels. Mais contrairement à la juge Ruffo, la juge allemande s'est suicidée en 2010, tout juste après avoir remis à son éditeur le manuscrit du livre Les limites de la patience.

Tout cela est fort intéressant, même fascinant, ce qui n'est pas le cas du film qui en résulte. Je me suis longuement interrogée sur ce qui ne fonctionnait pas avec ce film. Sa facture de téléfilm y est pour beaucoup, mais aussi le côté superficiel de la juge, dont la vie intérieure et les failles ne sont jamais exploitées, ce qui nous empêche de vraiment nous attacher à elle.

Et puis, vu de Montréal, ce film apparaît par moments carrément raciste, puisqu'on y fait le procès de jeunes délinquants arabes qui ne sont pas montrés sous leur jour le plus sympathique, loin de là.

À la période de questions avec le public, le réalisateur a affirmé qu'il aurait pu cibler d'autres jeunes délinquants, allemands ou italiens, mais que l'immigration arabe posait un réel problème à la société allemande. Il a aussi rappelé que la juge avait sévi contre ces jeunes arabes pour les sauver et les sortir du cercle vicieux de la violence.

En l'entendant déplorer la rectitude politique de certaines sociétés qui préfèrent fermer les yeux sur les problèmes posés par l'immigration, j'ai compris ce qui n'allait pas avec son film.

Quoi, au juste? Son point de vue trop allemand. Son incapacité à se détacher de sa réalité sociale pour accéder à un film qui parlerait de la même juge et des mêmes problèmes, mais de manière universelle, pour que, de Berlin à Montréal en passant par Tokyo, on s'y retrouve.

C'est d'ailleurs un reproche qu'on pourrait faire à plusieurs films de la compétition. Ce sont souvent des films bien faits, bien menés, bien joués, mais auxquels il manque cette petite étincelle, ce petit plus, qui fait la différence entre un bon et un grand film.

Mais ne désespérons pas. Le FFM est à mi-parcours. Les miracles peuvent encore arriver. Suffit d'être patient...