Premier matin. Premier film de la compétition officielle. Premier sourire. La 38e édition du FFM aurait pu commencer de mille façons. Dans le drame, le sang, la politique, le fait divers ou le fait de société. En fin de compte, c'est l'humour et la musique qui ont brisé la glace et lancé la compétition hier matin avec Lucky Stiff traduit en français par Qui meurt gagne, une comédie musicale filmée et réalisée par le metteur en scène et directeur artistique du La Jolla Playhouse, Christopher Ashley.

Lucky Stiff, qui a été monté à New York et à Londres, n'est pas une comédie musicale aussi connue que Le roi lion, Evita ou Cabaret.

C'est néanmoins une oeuvre qui, par son humour, sa musique, ses chanteurs de Broadway (dont Nikki M. James et Pamela Shaw) et ses rebondissements saugrenus, vaut le détour. Stylistiquement, le film se situe quelque part entre Chicago pour son aspect meurtrier et le Charlie and the Chocolate Factory de Tim Burton, pour la monstruosité des personnages londoniens.

En résumé, un vendeur de souliers ennuyeux comme la pluie (l'acteur shakespearien Dominic Marsh) hérite de 6 millions d'un oncle mort qu'il n'a jamais vu de sa vie. Il n'a qu'une condition à remplir: il doit aller à Monte-Carlo avec le macchabée embaumé et vissé à un fauteuil roulant, pour lui faire faire la tournée des grands-ducs une dernière fois. S'il réussit à exaucer les voeux et à suivre toutes les consignes enregistrées sur magnéto par son oncle avant sa mort, Harry Witherspoon héritera des 6 millions. Sinon les millions iront à un refuge pour chiens dans Brooklyn.

Une histoire parfaitement loufoque, qui se compliquera avec l'entrée en scène d'une grande blonde, timbrée, myope et portée sur la gâchette, ex-maîtresse du macchabée qui prétend que les 6 millions lui appartiennent. Elle tentera de les récupérer avec l'aide de son frère optométriste, l'acteur Jason Alexander qu'on a découvert au tournant des années 90 dans le rôle de George Costanza, le gars vraiment pas cool de Seinfeld. À ce nom connu s'ajoute celui de feu Dennis Farina, le flic de Law and Order, qui est d'ailleurs mort pendant le tournage.

Raconté comme ça, le film peut avoir l'air parfaitement ridicule. Mais en réalité, il est traversé par un humour caustique salvateur et porté par une mise en scène nerveuse et dynamique. On ne s'ennuie pas une minute dans cette fable de 78 minutes qui n'est que le deuxième long métrage de Christopher Ashley, surtout connu pour son travail de scène. Le premier et avant-dernier film d'Ashley remonte au siècle dernier, en 1995. Il s'agissait de Jeffrey, une comédie romantique gaie campée à Manhattan en pleine crise du sida.

Le réalisateur n'a pu faire le voyage jusqu'à Montréal et s'en est excusé dans un message vidéo envoyé au FFM. Mais ses deux principales chanteuses, Nikki M. James et Pamela Shaw ont pris congé de Broadway hier, le temps d'assister à la première.

Lucky Stiff n'est pas le film du siècle, mais c'est une belle façon de démarrer le Festival. Pour le reste, force était de constater hier à la toute première projection de la journée que le FFM ne fait plus courir les foules. Hier matin, un peu plus d'une centaine de têtes blanches et grises se sont donné rendez-vous à l'Impérial. C'était loin d'être la cohue comme à Berlin, un festival qui pourrait ressembler au FFM, à la différence qu'à toutes les séances de la Berlinale au Palais des festivals, le public, toujours en surnombre, piaffe aux portes pendant que les journalistes, par centaines, se disputent les meilleurs sièges. À l'Impérial hier matin, l'atmosphère était beaucoup plus calme et côté sièges, on avait l'embarras du choix, ce qui est sans doute un bien pour un mal.

Autre détail frappant, tous les festivals de cinéma lancent leurs projections avec un thème musical. À Berlin, c'est le même thème depuis au moins 10 ans. À Cannes aussi, je crois. À Montréal, coupes obligent, c'est silence radio pendant que défile le nom des commanditaires à l'écran. C'est dommage, mais, étant donné les circonstances, on ne chipotera pas trop. En revanche, on s'étonnera qu'avant le début des séances, sur le grand écran, ce ne soit pas le logo du FFM qui accueille les festivaliers. C'est celui en grosses lettres de NBC Universal. On devine que NBC a dû donner un solide coup de pouce au FFM pour une si belle visibilité. On remercie NBC, mais quelle ironie quand même de voir une multinationale venir au secours d'un festival qui se targue de ne pas jouer le jeu des Américains. On en conclut qu'en ces temps difficiles, le FFM a besoin de tous les appuis disponibles, quitte à cultiver quelques paradoxes.

Pour joindre notre chroniqueuse: npetrowski@lapresse.ca