Le titre de l'émission est une question que toutes les femmes évitent généralement de poser: quel âge me donnez-vous? Pourtant, dans cette nouvelle émission animée par Jean Airoldi et diffusée depuis lundi sur Canal Vie, des femmes se soumettent au supplice de cette question pourrie et aux jugements qu'elle implique. Elles le font enfermées comme des animaux en cage dans une boîte de plexi posée au milieu d'un centre commercial.

Pendant qu'elles marinent dans leur jus, immobiles comme des statues, Jean Airoldi interpelle des badauds: quel âge lui donnez-vous? leur demande-t-il en lorgnant la pauvre cobaye dans son sarcophage insonorisé, qui n'entend rien, mais qui comprend aux grimaces des badauds, qu'on lui donne l'âge de sa grand-mère.

Le concept est britannique, mais a été repris aux États-Unis et sans doute dans plusieurs pays de l'Occident où vieillir est un crime. Surtout pour les femmes.

Avant d'aborder le premier épisode de Quel âge me donnez-vous?, permettez-moi de revenir sur les pubs, fort nombreuses, même si l'émission ne dure que 22 minutes.

D'abord, il y a les pubs de la chaîne Le Grenier. Bien que la chaîne vende des vêtements pas chers pour dames, une jolie fille blonde dans la vingtaine en fait la promotion, indiquant de manière subliminale qu'on peut peut-être rajeunir en magasinant au Grenier.

Une deuxième pub de lingerie féminine fait défiler des jeunes filles canons qui feraient fondre d'envie même une banquise féministe. Et puis la cerise sur le sundae: la pub du Centre de médecine esthétique de Boucherville, un centre conçu «pour exprimer votre beauté au naturel», et une pub imaginée pour renforcer le message véhiculé par l'émission: à savoir qu'en vieillissant, un brin de Botox, de collagène ou d'acide hyaluronique ne fait pas de mal. Pourquoi s'en priver?

Je ne reviendrai pas sur le culte de la jeunesse et l'effroi de vieillir qui sous-tend ce type d'émission. Le culte de la jeunesse est un fait établi, promu, cultivé et perpétré à l'infini. Les femmes en souffrent deux fois plus que les hommes, même si ces derniers commencent aussi à en être atteints.

Mais ce qui heurte le plus, c'est que l'émission contredit tout le mouvement d'acceptation de soi mis de l'avant par la génération Dove, afin de libérer les femmes de la tyrannie d'une image idéalisée et illusoire. Ce qui heurte encore davantage, c'est le fric que ça coûte pour y arriver.

L'argent est ici le nerf de la guerre. Si vous êtes riche, vous aurez toujours les moyens d'avoir l'air plus jeune que votre âge. Mais si vous n'avez pas l'argent pour refaire vos dents, effacer vos rides, restaurer le volume de vos pommettes, lifter votre menton et vous faire teindre les cheveux avec une teinture professionnelle, pas avec la cochonnerie maison qu'utilisent celles qui n'ont pas les moyens d'aller chez le coiffeur, que ferez-vous? Vous ferez dur, selon Jean Airoldi.

J'ai fait un rapide calcul des coûts de la «rénovation» de Danielle, la première concurrente de l'émission. J'en suis venue à une somme qui oscille entre 12 000 et 15 000$. En prenant seulement le travail qui est fait sur ses dents d'en bas, puis en ajoutant les six facettes de porcelaine à 1400$ chacune, on approche de 10 000$.

Puis une charmante chirurgienne esthétique prend le visage de Danielle en main, lisse ses rides au Botox, remplit ses pommettes à l'acide, efface ses taches brunes à l'azote, et j'en passe. Là encore, la caisse enregistre des dépenses entre 1000 et 2000$.

Danielle est ensuite expédiée chez la coiffeuse qui critique sa teinture maison et la lui déconseille à l'avenir, ce qui ne manquera pas d'augmenter les coûts de maintenance de Danielle.

Une fois coiffée et maquillée, Danielle se fait relooker par Jean Airoldi, qui n'aime pas sa tunique en laine grise et ses leggings noirs. Affirmant que ce look la vieillit (ce qui est loin d'être évident à mes yeux), il l'affuble d'un horrible ensemble rouge qui la fait ressembler au père Noël. Bonjour le bon goût.

Est-ce qu'au bout de l'exercice, Danielle a l'air plus jeune? Évidemment. Avec tout le fric qui a été dépensé sur elle, c'est la moindre des choses. Est-ce que c'est une femme nouvelle et améliorée? Objectivement, oui, même si pour ma part, je trouvais qu'elle avait plus de caractère et de singularité avant.

Danielle et toutes les concurrentes qui se sont prêtées au jeu de Quel âge me donnez-vous? n'ont pas eu à payer pour les soins de rajeunissement qu'elles ont reçus. Ce ne sera malheureusement pas le cas pour les spectatrices qui auront succombé à l'apologie de la chirurgie esthétique et dentaire que fait l'émission et qui auront envie d'y souscrire.

Mais si, d'aventure, elles n'en ont pas les moyens, que leur conseille Jean Airoldi à ce sujet? Dévaliser une banque? Organiser un boule-o-thon comme la fille à Gatineau? Couper les dépenses pour les enfants? Ou mieux encore, s'endetter à l'os jusqu'à leurs 80 ans?