On apprend plus sur l'histoire d'un peuple et d'une nation à travers ses chansons qu'avec ses discours politiques mis bout à bout. Ainsi s'exprimait Robert Charlebois sur les plaines d'Abraham, cette année à la veille de la Saint-Jean. Pour le contredire, on pourrait plaider que si certains discours politiques étaient gravés sur platine et tournaient régulièrement à la radio, ils finiraient peut-être par s'inscrire dans les trames sonores de nos vies. Mais à quoi bon contredire Charlebois, surtout quand il a raison ?

Mises bout à bout, les chansons québécoises racontent en effet l'histoire du Québec et de ses époques, opaques, épiques, romantiques ou désenchantées. Mais ces jours-ci, ces chansons mises bout à bout font surtout rocker le musée McCord avec l'expo Musique: le Québec de Charlebois à Arcade Fire.

J'avais beaucoup entendu parler de cette expo à la radio, dans les journaux, mais aussi par un ami qui en était sorti complètement déprimé. L'ami en question n'a jamais écrit de chansons, mais pourrait se réclamer de quelques discours politiques. Pourquoi cette expo lui a-t-elle foutu le cafard ? Parce que, m'a-t-il répondu, l'expo représente la somme de nos exploits passés et, par la même occasion, fait ressortir le grand vide politique et culturel d'aujourd'hui. Avait-il raison?

J'ai décidé d'aller vérifier de mes propres yeux. C'était au lendemain de la Fête nationale. Le musée était ouvert, mais presque désert, sauf pour l'occasionnelle touriste du Bas-du-Fleuve ou le couple de retraités boomers - ceux qui, en 1961, faisaient partie de cette moitié de la population québécoise âgée de moins de 26 ans, comme nous l'indique l'exposition d'entrée de jeu.

Ce n'est pas pour me vanter, mais ça fait plus de 30 ans que je couvre la scène culturelle, musicale et chansonnière québécoise. Cette expo ne m'a rien appris que je ne savais déjà. La plupart des vinyles avec leurs pochettes colorées que l'on retrouve dans les présentoirs, je les ai achetés, écoutés et parfois même gardés. Aujourd'hui, ils gondolent quelque part dans un garde-robe du sous-sol.

J'étais de la première Saint-Jean sur la montagne. J'ai vu Magie rose de Dufresne au Stade olympique, Beau Dommage au Forum et Harmonium en Californie. Mais ce sont néanmoins de petits détails anodins qui m'ont fait vibrer, comme cette vidéo d'une entrevue de Jean Leloup, tout jeune et bleaché blond, ou quand je me suis retrouvée devant la Fender Telecaster de feu Dédé Fortin, ou encore face à ses lunettes d'aviateur tout esseulées sur leur présentoir. Et que dire de la magnifique robe-théâtre dessinée par Michel Robidas pour Diane Dufresne et sous laquelle pourrait se cacher toute une troupe de théâtre ?

L'expo se termine avec un concert d'Arcade Fire sur la place des Festivals, comme si la chanson québécoise de langue française avait fait ce long parcours pour aboutir à un groupe phare anglophone. Pourquoi finir sur cette drôle de note ? Pour nous signaler quoi, au juste ? Notre évolution ? Notre maturité ? Notre métissage ? Notre progressive et inéluctable anglicisation ?

Comprenez-moi bien : je ne remets pas en question une minute la présence d'Arcade Fire dans cette expo. Ni celle, au demeurant, d'une poignée d'autres artistes anglophones, à commencer par le grand Leonard Cohen. Je suis seulement en désaccord avec la position d'Arcade Fire, au bout du sillon, en espèce de finale triomphante, de trait tiré sur nos chansons.

Charlebois n'est pas la mèche qui, 50 ans plus tard, a allumé le feu d'Arcade Fire. Le lien qui mène à Arcade Fire, c'est Leonard Cohen, Kate et Anna McGarrigle et Godspeed You ! Black Emperor, le groupe phare et pionnier de la musique indie montréalaise.

Quant au Québec de Charlebois, il a continué son chemin avec Ariane Moffatt, Pierre Lapointe, Céline et Marie-Mai, pour ne nommer que ceux-là.

Mais puisqu'il faut bien tirer un trait quelque part, alors tirons-le sur le magnifique concert de l'OSM et des 12 hommes rapaillés à la place des Festivals, dimanche dernier, pour la clôture des FrancoFolies. Ce soir-là, exactement au même endroit où des milliers de Montréalais applaudissaient Arcade Fire en 2011, des milliers de Montréalais sont venus entendre les mots de Gaston Miron chantés par une incroyable brochette d'interprètes québécois. Mises bout à bout, toutes ces chansons nous ont raconté ce soir-là qu'au Québec, en 2014, la poésie existe encore et qu'elle nous parle mieux de nous - et dans notre langue - que bien des discours.