Il y a exactement 20 ans, en 1994, 31 coalitions nationales, au nombre desquelles figurait le Canada, s'entendaient sur le principe d'exception culturelle. Ce principe visait à protéger la diversité culturelle contre la mondialisation et à exclure la culture de l'Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce (GATT).

Trois ans plus tard, cette fois à Montréal, sept coalitions nationales supplémentaires se joignaient au groupe pour réaffirmer leur soutien à la diversité culturelle. Ç'a été un beau et grand jour pour toutes les cultures en général, et pour la culture québécoise en particulier.

J'ai cherché une déclaration de Carlos Leitao, à l'époque économiste à la Banque Laurentienne, à ce sujet. Je la cherche encore. Je ne sais pas quel rapport personnel le ministre des Finances entretient avec la culture. Mais si j'en juge par les mesures de son budget qui imposent une réduction de 20% des crédits d'impôt en culture, j'en déduis que l'exception culturelle ne lui fait pas un pli sur la différence.

Mieux encore, à l'instar de son premier ministre qui refuse de voir que le français au Québec est menacé, il croit que tout va pour le mieux pour la culture au Québec, et qu'une réduction des crédits d'impôt ne menacera rien ni personne - sauf des entités maintenues en vie artificiellement et qui, dans le fond, ne méritent pas d'exister.

J'interprète évidemment sa pensée sans lui avoir parlé. J'ai toutefois échangé par courriel avec son attachée de presse, qui m'a répondu: «Bien sûr, le domaine de la culture est important pour le gouvernement. Par contre, afin d'améliorer la situation des finances publiques, nous croyons que tous doivent faire un effort.»

En d'autres mots, on n'a rien à cirer de votre exception culturelle. La culture devra contribuer comme les autres. Et tant pis pour ceux qui ne pourront pas suivre.

Le ministre Leitao croit-il vraiment que la culture québécoise est assez forte et en santé pour survivre à une perte financière aussi importante que celle que représente la réduction des crédits d'impôt? Si c'est le cas, je suggère fortement au ministre de venir faire un tour dans les salles de spectacle à Montréal.

Il y a 15 ans, à Montréal, Michel Rivard pouvait chanter 15 soirs d'affilée au Spectrum. Jean Leloup, lui, pouvait faire 10 Métropolis sans que cela ne soit même un exploit. Or, cette année, aucun artiste québécois n'a fait le Métropolis. Cette année, quand un artiste populaire et aimé comme Daniel Bélanger fait sa grande rentrée montréalaise, cela se résume à un seul soir au Corona.

Hormis quelques exceptions, le spectacle québécois ne vend plus. Le disque québécois, encore moins. Et si ça continue sur cette lancée encore longtemps, la chanson québécoise sera rayée de la carte à la faveur des musiques et des artistes de la mondialisation, de plus en plus présents dans notre champ d'écoute et dans notre champ de vision.

Ce qui permettait aux producteurs de spectacles de continuer à présenter des artistes québécois sans le faire complètement à perte, c'était le crédit d'impôt, ce avec quoi ils se paient une fois toutes les dépenses réglées. Avec un crédit d'impôt amputé de 20%, beaucoup de petits producteurs de spectacles seront acculés à la faillite. Il en sera de même pour les producteurs de télé et de cinéma, déjà fragilisés par les compressions aux organismes subventionnaires fédéraux et par les plus récentes coupes à Radio-Canada, comme le souligne l'Association des réalisateurs du Québec.

Et que dire de l'industrie du doublage, qui s'est fait âprement écraser par le protectionnisme français. Non seulement la France refuse toujours qu'un film doublé au Québec soit diffusé sur son territoire, mais en vertu d'accords conclus récemment avec l'Union européenne, la France accepte désormais sur son territoire des versions françaises doublées en Espagne, en Écosse ou en Belgique. Le crédit d'impôt accordé aux multinationales qui font doubler une oeuvre au Québec était une mesure incitative non seulement intéressante, mais convaincante. Un crédit d'impôt réduit de 20% saura-t-il convaincre aussi bien Disney de miser sur l'industrie locale? Pas sûr.

En 2010, en recevant le prix Nobel de la littérature, l'écrivain péruvien fraîchement converti au néo-libéralisme Mario Vargas Llosa affirmait que les cultures n'ont pas besoin d'être protégées, qu'elles doivent vivre à l'air libre et être exposées aux comparaisons constantes avec d'autres cultures.

«La menace qui pèse sur Flaubert et Debussy ne vient pas des dinosaures de Jurassic Park, affirmait-il, mais de la bande de petits démagogues et chauvinistes qui parlent de la culture comme s'il s'agissait d'une momie et qu'une exposition à l'air frais la ferait se désintégrer.»

La formulation avait beau être jolie, le propos de Vargas Llosa était un leurre. La bande de Jurassic Park et tous les produits de la mondialisation n'ont cessé depuis de gagner du terrain chez nous et ailleurs. L'omniprésence de l'internet n'a fait qu'accélérer le phénomène. Le seul rempart contre leur inéluctable invasion, c'est la diversité culturelle encouragée par des mesures d'exception. Pas par des réductions de crédits d'impôt qui risquent de causer un tort irréparable. Espérons que le ministre des Finances ne tardera pas trop à s'en rendre compte.