J'étais à l'Auditorium de Verdun le soir où Pauline Marois a présenté aux militants leur prochaine députée, Lorraine Pintal. Je me souviens encore du discours enflammé et enthousiaste de la directrice du Théâtre du Nouveau Monde (TNM) - discours livré, sans poing levé, avec un dosage parfait d'éloquence et de lyrisme. Je trouvais que le PQ avait fait un excellent coup en recrutant non seulement une candidate de qualité politicienne dans l'âme, mais aussi une future ministre de la Culture d'envergure.

Une ou deux semaines plus tard, alors que la campagne du PQ avait déjà commencé à piquer du nez, je suis allée à une première au TNM. Les soirs de première au TNM ont toujours quelque chose de magique. Tous les acteurs de la ville s'y bousculent. Leurs parfums bigarrés se mêlent à leurs éclats de rire. De gros bouquets de fleurs tenus à bout de bras par des livreurs se frayent un chemin jusqu'aux loges. Et après la représentation, des bougies éclairent les tables dressées dans le hall pour un festin rituel.

Ce soir-là, j'ai eu une petite pensée pour Lorraine Pintal. Ne la voyant pas dans les parages comme à l'accoutumée, je l'ai imaginée faisant du porte-à-porte en grelottant de froid dans la nuit hostile pendant que ses amis de théâtre faisaient la fête. Je l'ai trouvée très courageuse: renoncer à tout ça pour la politique?

On connaît la suite. Lorraine Pintal a été défaite dans Verdun. Et pas nécessairement dans l'honneur puisque le libéral Jacques Daoust a triomphé avec une majorité écrasante de plus de 6000 voix.

Et contre toute attente, celle qu'on avait vue trop vite ministre de la Culture d'un gouvernement péquiste majoritaire, celle qu'on pensait défroquée du théâtre pour longtemps, est revenue au bercail. Pas pour faire ses boîtes. Pour y reprendre le contrôle des activités.

Était-ce une sage décision? Ceux qui souhaitaient le départ de Lorraine Pintal depuis un temps vous diront non. Ceux qui ont crié «bon débarras» en apprenant qu'elle se lançait en politique aussi. Mais sauf erreur, nous vivons en démocratie. Tout le monde, absolument tout le monde, a le droit de se présenter sur la scène politique, et le droit, après coup, de retrouver sa vie, son emploi, sa position dans la société, sans être «puni», sans en payer de sa personne. C'est la seule façon d'assurer que des gens de qualité fassent de la politique, sinon personne - sauf ceux qui n'ont rien à perdre - ne voudrait s'en mêler.

Le TNM n'est pas un organisme gouvernemental ni un organe de presse. C'est un théâtre subventionné certes, mais libre de ses choix, qui n'a pas à se soumettre à la volonté d'un ministre ni à la dictature d'une idéologie. Bref, sur les plans éthique, moral et politique, la décision de Lorraine Pintal de rester en poste est tout à fait justifiée. Sur le plan diplomatique aussi. Peu importe le nouveau titulaire de la Culture, les fonctionnaires et sous-ministres qui gèrent le Ministère seront probablement les mêmes et le dialogue qu'ils ont entamé il y a des années avec la directrice du TNM ne devrait pas en pâtir.

Évidemment, si cette dernière veut encore aller de l'avant avec son projet d'agrandissement évalué à 13 millions et déposé il y a deux ans au gouvernement, c'est une autre histoire. Sans parler de représailles, je vois mal ce projet devenir la priorité du nouveau gouvernement libéral.

Reste la question artistique. Après 22 ans de loyaux services et un travail remarquable de redressement et de revitalisation de l'institution qu'est le TNM, Lorraine Pintal devrait-elle tirer sa révérence?

Certains diront oui au nom d'un renouveau artistique et théâtral. Pour ceux-là, Lorraine Pintal a fait son temps et doit impérativement préparer sa succession. Pour les autres, dont je fais partie, rien ne presse. Il n'y a pas péril en la demeure. Lorraine Pintal est une directrice suffisamment lucide et intelligente pour voir venir les choses. Le jour où elle sentira qu'elle nuit à l'institution plus qu'elle ne la sert, j'ose croire qu'elle partira sans qu'on ait besoin de lui montrer la porte. En attendant, laissons-la savourer son retour à la vie.

ON N'EN PARLE PAS ASSEZ

La revue littéraire et culturelle L'inconvénient qui vient de faire peau neuve et d'adopter le format magazine. Dans ce nouveau numéro (le 56e), plusieurs belles plumes se demandent où s'en va la littérature québécoise. Chez le diable ou chez le voisin? On y retrouve aussi, signé Mauricio Segura, un portrait touchant et très fouillé de l'écrivain Gaétan Soucy, mort d'une crise cardiaque le 9 juillet 2013 à 54 ans. À lire.

ON EN PARLE TROP

De la course à la succession de Pauline Marois. On vient à peine de sortir de 30 jours d'une campagne électorale où les chefs apparaissaient aux cinq minutes sur tous les écrans, tous les jours. On a déjà eu un avant-goût précoce de la lutte qui se prépare. Est-ce qu'on pourrait faire une pause de 15 minutes avant de redémarrer la machine électorale?