Qui est le premier ministre du Québec? Stephen Harper, répond la première. Pauline Marois, répond la deuxième. Pour quel parti? Aucune idée, répond-elle. Et le troisième de s'esclaffer: «Voyons donc! C'est impossible. Y a pas de premier ministre au Québec.»

Voici un bref échantillon du vox pop sur le droit de voter réalisé par l'humoriste Guy Nantel. Quarante-huit heures après sa mise en ligne, la vidéo avait déjà enregistré plus de 300 000 visionnements - dont celui de Claude Gingras, c'est tout dire!

Tournée en deux heures, à l'intersection des rues Saint-Denis et Sainte-Catherine le 27 mars, une semaine après le premier débat des chefs et quelques heures avant le second à TVA, la vidéo contient une douzaine de témoignages sur la quinzaine recueillie. Ce qui, en partant, n'en fait pas un sondage très scientifique. Seulement un exemple éclatant d'analphabétisme politique.

Une poignée de sceptiques sont pourtant convaincus que cette vidéo a été arrangée par le gars des vues - à ne pas confondre avec le gars des urnes - et que les analphabètes politiques qui y figurent font semblant d'être cons pour plaire à Guy Nantel et pour être assurés de leur place à l'écran. Ils se trompent. L'humoriste affirme n'avoir rencontré qu'un type qui faisait vraiment exprès de déconner. Il a été coupé au montage. Idem pour la pauvre madame confuse qui n'avait pas pris ses pilules et qui disait n'importe quoi. Il y a une limite à abuser de la misère des gens.

«Ça fait mal à entendre. On est vraiment dans la marde. Ça me donne envie de pleurer. Le monde est vraiment cave. Maudit peuple d'ignorants. Ostie de belle province!»

Les internautes qui ont commenté la vidéo sont unanimement choqués, outrés, dégoûtés par ce défilé d'ignares.

Je les comprends. Ce fut aussi ma première réaction avant de me rendre compte que c'était trop facile. Trop facile de se lancer dans des jugements à l'emporte-pièce en se basant sur une capsule avant tout humoristique et dépourvue de tout fondement scientifique. Quinze personnes sur un potentiel de quelques millions d'électeurs, c'est une goutte d'eau dans l'océan Indien.

Et puis Guy Nantel est le premier à admettre qu'au montage, il a fait preuve de la mauvaise foi la plus crasse en ne gardant que les mauvaises réponses. C'est ainsi qu'on se retrouve avec Jean Charest ou François Couillard comme chef de l'opposition officielle ou qu'on apprend que Françoise David a déjà accompli deux mandats comme première ministre.

Dès que ces mêmes répondants avaient une bonne réponse - et c'est arrivé -, elle était éliminée.

Inversement, lorsque Nantel est allé interroger les élèves en 4e année à l'école Louis-Hippolyte-Lafontaine, il n'a gardé que leurs bonnes réponses. Nantel n'a pas soufflé les réponses aux enfants, mais il a dû obtenir la permission de leurs parents, la veille, pour avoir le droit de filmer leur progéniture. Par le fait même, les enfants ont pris connaissance du sujet de la vidéo et ont pu se préparer en conséquence.

Le résultat est des plus réjouissants. Les enfants répondent avec aplomb et sans défaillir. Ils savent tout de même qui est Samuel de Champlain. Pas un premier ministre élu en 1920, comme l'affirme un monsieur, mais le père de la ville de Québec.

Au-delà de la mauvaise foi de l'humoriste, qui cherchait avant tout à nous faire rire et qui a bien réussi, cette vidéo témoigne de quelque chose de plus vaste que l'analphabétisme politique: l'absence de culture générale.

De toute évidence, les répondants ne s'intéressent pas à la politique et, ne s'y intéressant pas, ils ne retiennent pas la plus petite parcelle d'information valable à son sujet.

Or, prenez ces mêmes répondants et interrogez-les sur un sujet qui les passionne - le hockey, le hip-hop, Céline Dion, les mathématiques ou les nains de jardin -, et certains d'entre eux risquent de se muer en exégètes. Ce n'est pas que les gens sont ignorants, c'est que leurs connaissances sont de plus en plus pointues, spécialisées, découpées en compartiments et nichées dans un créneau unique qui élimine tous les autres.

J'imagine qu'il y a des gens qui connaissent tout de la politique québécoise. Ce sont pour la plupart soit des politiciens, soit des journalistes.

Pour les autres, la politique n'est pas une priorité, et parfois même pas une préoccupation. À ceux-là, on ne peut que souhaiter qu'ils découvrent un jour que le monde est vaste et les sujets d'intérêt, aussi nombreux que variés. Et que la meilleure façon de le découvrir, c'est en sortant de leur niche.

ON EN PARLE TROP

De l'avoir des chefs de parti, plutôt que de leur être. De toute façon, ils ont tous de l'argent, ou alors ils viennent d'une famille fortunée, la question est donc réglée. Mais ce qui les anime, les habite, les excite, les tient éveillés la nuit, on l'ignore. Le savoir serait pas mal plus éclairant que de connaître l'état de leur compte en banque.

ON N'EN PARLE PAS ASSEZ

Des commentateurs du reste du Canada qui sont pour la Charte de Pauline Marois. Tarek Fatah est de ceux-là. «Votez PQ pour sauver le Canada», a-t-il écrit cette semaine dans le Toronto Star. Dommage que les gens qui le lisent vivent tous en Ontario.