Depuis sa déclaration calamiteuse à Cannes sur Hitler, l'enfant terrible du cinéma danois, Lars Von Trier, avait juré qu'il ne prendrait plus jamais la parole publiquement. Hier, à Berlin, il a tenu sa promesse. Tout de suite après la présentation du sulfureux Nymphomaniac volume 1, la version longue et non censurée du premier volet, le cinéaste a accepté de poser pour les photographes. Il portait pour l'occasion un t-shirt noir frappé du logo du festival de Cannes et de l'inscription «Persona non grata, sélection officielle» - une allusion au fait qu'il a été banni de la Croisette en 2011 pour ses propos sur Hitler, mais qu'il serait peut-être de nouveau le bienvenu.

Puis, sitôt la photo prise, le cinéaste s'est éclipsé, abandonnant ses acteurs - Christian Slater, Stacy Martin, Shia Labeouf, Uma Thurman - aux médias. Seule manquait à l'appel Charlotte Gainsbourg, qui a préféré rester à Paris avec sa famille.

L'éclipse du cinéaste semble avoir eu un effet d'entraînement sur Shia Labeouf, celui avec lequel Joe, la nymphomane, perd sa virginité. À peine 10 minutes après s'être assis devant la presse internationale avec sa casquette enfoncée sur les yeux et sa dent manquante, l'ex-enfant-vedette de Disney a mal réagi à une question sur les nombreuses scènes de sexe explicite du film. Alors que sa partenaire de jeu Stacy Martin tentait de répondre, l'acteur s'est levé. «Quand les mouettes suivent le chalutier, c'est qu'elles savent qu'on va jeter des sardines dans la mer», a-t-il maugréé, reprenant la citation d'un joueur de football, avant de quitter la salle abruptement. Ce n'est pas la première fois que Shia pique une crise en public. Même que, ces derniers temps, cela semble être la norme. Justin Bieber, sors de ce corps!

Parmi les folles histoires qui circulent à son sujet, la plus drôle concerne Nymphomaniac. La rumeur veut en effet que pour s'assurer d'obtenir le rôle de Jérôme, l'acteur ait envoyé la photo de son pénis à Lars Von Trier. Apparemment, ce n'est pas pour cette raison qu'il a été choisi, puisque tous les organes génitaux qui apparaissent en gros plan dans Nymphomaniac - et croyez-moi, ils sont nombreux - ont été incrustés par infographie et appartiennent à des doubles pornos et non pas aux acteurs.

Cela dit, il règne une certaine confusion au sujet de ce film provocant et parfois carrément pornographique. Une première version, plus courte et censurée, doit sortir en mars. Celle projetée hier à Berlin est une version plus longue et non censurée, qui sortira plus tard, mais si possible avant le deuxième volet. Car il y aura un deuxième volet, qui sera peut-être même lancé à Cannes. Ce n'est pas confirmé, mais la possibilité existe.

Quelle est la différence entre les deux versions du premier volet?

Selon la productrice du film, la différence est surtout une affaire de longueur: «La discussion philosophique entre Charlotte Gainsbourg et celui qui la recueille chez lui [Stellan Skasgard] est plus longue et plus profonde, le rythme du film est plus lent et il y a plus de sexe explicite», nous a-t-elle appris.

Va pour le sexe explicite, mais le plus surprenant de ce premier volet, c'est le rôle qu'y tient Charlotte Gainsbourg. La photo qui circule le plus à ce sujet montre Charlotte, les seins nus, coincée entre deux Adonis noirs et musclés. Or, non seulement cette scène n'apparaît pas dans le volume 1, mais Charlotte passe les deux heures et demie du film en pyjama entre les quatre murs d'une chambre sombre à raconter sa vie à un sympathique eunuque.

Toutes les scènes de nymphomanie sont jouées par Stacy Martin, qui incarne le personnage de Joe, jeune. On a la nette impression que Lars Von Trie a voulu épargner Charlotte Gainsbourg en lui payant un double de première classe. Quant à ce double, la jeune Stacy Martin, un mannequin dont c'est le premier film, on peut certes saluer son courage. Faire ses débuts au cinéma plus souvent nue qu'habillée n'est pas évident. Mais à moins que ça soit voulu du réalisateur, ce qui n'est pas clair, son visage est la plupart du temps sans expression.

Pour le reste, c'est difficile de comprendre ce que Lars Von Trier veut nous dire avec ce film où se mêlent sexe, pêche à la mouche, Bach, formules mathématiques et musique d'orgue. Le film ne manque pas d'humour ni de fantaisie graphique et visuelle. La magnifique Uma Thurman nous y offre une scène d'anthologie dans le rôle d'une épouse cocufiée et enragée qui vient raccompagner son mari infidèle chez la nymphomane et fait la visite des lieux avec ses trois enfants.

Peut-être que Lars Von Trier voulait tout simplement parler de sexe sans verser dans la morale tout en tentant de donner de la substance, et peut-être même de l'humanité, à l'imagerie porno.

Sa productrice a affirmé en conférence de presse que le cinéaste n'avait fait aucun compromis artistique et qu'à aucun moment, il ne s'était autocensuré. Ce n'est qu'après coup, du côté de la distribution du film, que les interdits sont tombés.

Ironiquement, a plaidé la productrice, c'est plus facile de montrer de la violence que du sexe au cinéma. Quelque chose me dit que le but visé par Lars Von Trier était précisément celui-là: montrer aux bienpensants que le meurtre et le sang sont finalement plus socialement acceptables et distillent moins de malaise que le sexe et la sexualité. Si c'était le cas, alors c'est mission accomplie.