Vendredi dernier, la chanteuse Petula Clark a quitté Montréal pour aller fêter ses 81 ans à New York. Ce soir-là, dans la Grosse Pomme, il n'y a pas eu de bougies, de ballons ou de chorale réunie pour chanter en choeur Happy Birthday Petula sur l'air de Downtown, son mégatube des années 60. Seulement un petit souper intime au restaurant avec sa fille Barbara, son mari, leurs deux enfants, et Claude Wolfe, conjoint de Petula depuis plus de 50 ans, bien que les deux vivent séparément depuis longtemps.

Petula Clark aime les fêtes, mais pas les anniversaires qui lui rappellent de manière trop ostensible le passage du temps. La dame a beau avoir l'âge qu'elle a, elle préfère de loin le présent au passé recomposé.

Le jour de notre rencontre à Montréal, il faisait un froid de canard aggravé par un vent cinglant. Et pourtant, Petula Clark a franchi allégrement l'entrée du Centre Bell, vêtue d'une légère veste en laine et d'une longue écharpe orange. Rien de plus. Vous devez être frigorifiée, lui ai-je lancé. «Je suis britannique, a-t-elle répondu. J'en ai vu d'autres.» Elle m'a plu tout de suite. Et complètement décontenancée.

Soyons honnêtes. Je m'attendais à rencontrer une vieille dame frêle à la voix chevrotante venue faire la promo du spectacle Rendez-vous avec nos stars, pendant international du Retour de nos idoles, qui réunira le 28 juin prochain, au Centre Bell, une pléthore de vedettes du passé, allant de Hughes Aufray à Joselito (l'enfant à la voix d'or, aujourd'hui âgé de 72 ans) en passant par Murray Head, Catherine Lara, Marie Carmen, La Compagnie créole et la doyenne du lot, Petula Clark.

Or, Petula n'a rien d'une doyenne ou d'une vieille dame. Elle est peut-être discrète et posée, mais elle est en pleine forme, marche d'un pas vigoureux et se déplace dans l'espace avec l'élan d'une femme qui a la moitié de son âge.

Ceux qui en doutent n'ont qu'à écouter son dernier CD, paru en avril dernier après un silence de 15 ans, sous le titre Lost in You. La première pièce, Cut Copy Me, est hallucinante et furieusement contemporaine. Si vous oubliez l'âge et le nom de la chanteuse, vous aurez l'impression d'écouter une jeune cousine d'Adele qui vient de lancer son premier CD.

Non seulement Petula Clark ne se complaît pas dans la nostalgie et refuse de vivre au passé, mais elle arrive aussi, à 80 ans, à se faire passer, du moins sur disque, pour la jeune femme dont la voix a explosé sur les palmarès des années 60 avec des tubes comme Downtown, I Know a Place et You're The One.

Sur le plan strict de la durée, la carrière de Petula Clark est phénoménale. Elle commence officiellement en 1942, même si Petula a chanté dès l'âge de 7 ans, en 1939, pour distraire les Britanniques des affres de la guerre. Enfant-vedette, Petula a survécu aux écueils de l'adolescence avant de devenir, à 20 ans, dans les années 60, une vedette planétaire associée à la fameuse British invasion dont elle était l'élément le moins rebelle.

«C'est vrai, dit-elle, je n'ai jamais été une Marianne Faithfull. L'alcool, la drogue, tout ça, ce n'était pas pour moi. Au début des années 60, j'étais déjà mariée et mère de deux enfants.»

Plus étonnant encore, alors qu'elle était une vedette en Angleterre, Petula Clark a commis un irréparable outrage à la reine en tombant follement amoureuse du Français Claude Wolfe, qu'elle a épousé et avec qui elle s'est établie en France. Ce sacrilège a même fait l'objet du tube Que fais-tu là, Petula?.

Ce qu'elle faisait en France? Elle découvrait la vraie vie et surtout la liberté, loin de la grisaille pluvieuse de Londres et surtout de l'autorité de son père qui fut son agent. Mais surtout, en déménageant en France, Petula s'est mise à chanter en français partout dans la francophonie, y compris au Québec.

«J'étais allée chanter en France pour un soir. Ça ne me tentait pas plus que ça. J'ai chanté et, le lendemain, j'ai rencontré Claude et ce fut le coup de foudre. Je me suis immédiatement installée en France, sans penser une minute à ma carrière. Je n'ai jamais été très préoccupée par ma carrière, par mon image ou par le showbiz en général.»

Petula ne ment pas, mais il suffit de fouiller dans les banques d'images pour retrouver la jeune chanteuse à la mode, nageant comme un poisson dans l'eau argentée du showbiz, posant ici avec les Rolling Stones et là avec Brel, Gainsbourg et Aznavour. Pas showbiz, celle qui s'est fait draguer par Sinatra et conter fleurette par Elvis, qui aurait bien aimé qu'elle trompe son mari avec lui? Pas certaine.

En 1969, Petula Clark est retournée à Montréal pour une deuxième série de récitals. Cette fois, elle ne chantait pas à la Comédie-Canadienne, mais à la Place des Arts. Voulant bien faire, elle avait décidé d'offrir au public montréalais, et ce, bien avant Sugar Sammy, un concert «full» bilingue.

«Ç'a été la catastrophe. J'avais l'impression que la guerre allait éclater entre la moitié de la salle qui était anglophone et l'autre moitié qui était francophone. Un soir, j'étais tellement découragée que j'ai voulu consulter quelqu'un qui ne faisait pas partie de mon entourage. J'ai su que John Lennon était en ville. Après le concert, je suis partie sous la pluie au Reine Elizabeth au «bed-in» de John et Yoko. Il n'y avait aucune sécurité. Je suis montée directement à la suite. La porte était ouverte. John m'a accueillie et j'ai fondu en larmes en lui expliquant mon problème. Il m'a dit de ne pas m'en faire, avant d'ajouter: «Fuck them!» [qu'ils aillent se faire foutre!]»

70 concerts par an

Entre ses débuts en 1942 et aujourd'hui, Petula a pris une unique pause au début des années 70. La pause a duré deux ans.

«Après ça? Je n'ai plus jamais arrêté, répond-elle sans sourciller. Une vie normale? Je n'ai jamais su ce que c'était. J'ai essayé de mener une vie relativement normale quand mes trois enfants grandissaient, mais j'ai vite retrouvé la scène, pas parce que j'ai un besoin maladif d'être dans la lumière, mais par amour de la musique et de cette énergie incroyable que me renvoie le public.»

Petula Clark donne environ 70 concerts par année. Le reste du temps, elle vit dans son grand appartement à Genève ou va faire un tour dans la montagne à Megève, où elle possède un chalet.

Elle marche, lit, écoute de la musique et suit les carrières de ses contemporaines. Elle aime bien les chansons d'Adele et d'Amy Winehouse et dit que Miley Cyrus est mignonne et qu'elle a une bonne voix, avant de trancher avec circonspection: «On ne fait pas le même métier.»

À la fin de notre rencontre, j'ai failli lui demander: que fais-tu là, Petula? Mais j'avais déjà ma réponse. À 7 ans comme à 81, Petula a suivi le courant et est restée miraculeusement de son temps.