Le cinéma a donné à Françoise Dreyfus un prénom: Anouk. Jacques Prévert lui a donné son nom de scène: Anouk Aimée. Elle a connu Picasso, Boris Vian, Henry Miller, Cassavetes, Sartre et de Beauvoir.

Jean Genet lui a écrit un film, Mademoiselle, offert en cadeau lors de son mariage avec le cinéaste Nikos Papatakis, en 1951, et qui fut réalisé des années plus tard par Tony Richardson. Elle a tourné avec les plus grands: Fellini, Vittorio de Sica, Bertolucci, Agnès Varda, Becker, Cukor, Lumet, Lelouch, Kaurismaki.

Avec plus de 70 films à son actif, dont un premier tourné à 13 ans, Anouk Aimée est une icône et un monument du cinéma français. Et pourtant, la voilà qui s'amène en toute simplicité dans la salle de l'hôtel Sofitel de Montréal, à l'invitation du festival Cinemania, qui lui rend hommage avec une rétrospective de huit films et d'un documentaire, La beauté du geste, réalisé par son ami et ex-agent Dominique Besnehard.

«Pourquoi il n'y a pas Huit et demi dans la liste?», demande-t-elle à brûle-pourpoint à l'attachée de presse. C'est dommage qu'il n'y soit pas parce qu'à mon avis, c'est le plus grand film au monde!»

Anouk Aimée a tellement habité le grand écran avec son beau visage tout en angles et son regard mélancolique, elle a tellement marqué le cinéma, que je n'en reviens pas de l'avoir devant moi en chair et en os.

Mais c'est bien elle, avec ses pantalons larges, son imper, ses souliers plats et ses 81 ans. Son visage arbore quelques rides qui n'ont pas été lissées par une chirurgie de poupée en plastique, comme tant d'actrices. Pour le reste, c'est une femme au regard pétillant, qui transpire le charme, la légèreté et l'humour.

L'Anouk mélancolique et mystérieuse de films comme Un homme et une femme de Claude Lelouch est avant tout un personnage, créé de toutes pièces sur la pellicule. Elle rejoint rarement l'Anouk de la vraie vie. «C'est sûr qu'il y a un morceau de moi dans tous les films que j'ai tournés et pas plus Un homme et une femme que les autres. Il le faut bien. Quand on entre dans un rôle, on cherche la part à laquelle on peut s'identifier, mais ce n'est qu'une part de soi.»



Elle dit être arrivée au cinéma par hasard à 13 ans, après qu'on l'ait arrêtée dans la rue pour lui proposer le rôle d'Anouk dans La maison sous la mer d'Henri Calef. En réalité, elle était la fille de deux acteurs qui l'ont encouragée dans le métier. Elle a suivi des cours d'art dramatique tout en poursuivant ses études et tout en continuant à tourner, notamment, dans Les amants de Vérone. Je lui demande s'il y a un moment, dans cette immense carrière qu'est la sienne, qu'elle chérit plus que les autres. Mais c'est une question de journaliste beaucoup trop vaste.

«Vous savez, dans la vie, il y a des hauts et des bas et toutes sortes de moments. Dans mon cas, il y a eu plusieurs moments formidables. J'ai eu beaucoup de chance. La chance d'être là au bon moment. Est-ce que je crois à la chance? Oui, absolument. Je ne crois pas qu'on fait sa chance. Moi, je n'ai rien fait. Mais je crois que certains êtres humains sont plus protégés que d'autres. J'ai eu cette chance-là. J'ai dû perdre aussi quelque chose, mais je ne saurais dire quoi.»

Enfant, elle a eu la chance d'échapper aux nazis en remplaçant Dreyfus par Durand, le nom de sa mère. Réfugiée chez ses grands-parents à la campagne, elle rêvait de visiter l'Égypte, l'Inde et le Canada. Elle n'a jamais été en Égypte ni en Inde, mais en revanche, elle est venue souvent à Montréal.

Elle se souvient du Napoléon qu'elle a tourné avec Yves Simoneau, puis cherche le titre du film qu'elle a fait chez nous aux côtés de Donald Sutherland et de Helen Mirren. Incapable de se souvenir du titre, elle se traite d'abrutie en s'excusant. Il s'agissait en fin de compte du film Bethune, The Making of a Hero de Philip Borsos.

Mariée plusieurs fois, mère d'une fille unique, son partenaire le plus stable et le plus constant a été le cinéma. Pourtant, il lui est arrivé une rare fois, à la fin des années 60, de le plaquer. Elle venait d'épouser l'acteur Albert Finney. Elle l'a suivi à Londres où, de son propre aveu, pendant sept ans, elle a fait la cuisine et vécu sa vie de femme. Et puis, le cinéma est revenu la chercher.

Il y a eu d'autres amours, notamment avec le réalisateur Eli Chouraqui, d'autres rôles, d'autres aventures et une passion pour la défense des animaux. Le temps a passé, mais Anouk Aimée est restée éternellement elle-même, comme au premier jour.

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Demain, à 16h45, au cinéma Impérial, Anouk Aimée donnera une classe de maître ouverte au grand public. Entrée libre.

Photo fournie par Radio-Canada

Jean-Louis Trintignant et Anouk Aimée dans Un homme et une femme, de Claude Lelouch.