Une fille se couche un soir dans son lit, chenille en pyjama, habillée jusqu'au cou et entourée de ses oursons en peluche. Elle se réveille le lendemain, papillon à tête platine, en vêtements moulants ou sans vêtements du tout. Elle était petite fille, la voilà devenue femme. C'est l'histoire de millions de filles et l'histoire ces temps-ci de la chanteuse Miley Cyrus, l'ex Hanna Montana, aujourd'hui égérie défroquée de Disney. Son 4e CD a été lancé hier. Et contre toute attente, il n'est pas mal du tout.

Pourquoi est-ce une surprise? Parce que depuis sa métamorphose en objet sexuel aux Video Music Awards, où elle a volé la vedette à l'imbattable Lady Gaga, on ne compte plus les insultes qui accablent Miley Cyrus: vulgaire, obscène, grossière, pornographique et j'en passe.

En amazone têtue et téméraire, la chanteuse de 20 ans n'a rien fait pour calmer le jeu. Au lieu de s'excuser comme elle l'avait fait à 15 ans après avoir posé à moitié nue dans le Vanity Fair, Miley en a rajouté une couche dans la provocation à saveur sexuelle. D'abord avec le vidéo de Wrecking Ball où elle se balance carrément à poil sur un boulet de destruction, puis en posant nue pour le Rolling Stone et, enfin, en se moquant impunément et avec aplomb des controverses qu'elle a soulevées, à Saturday Night Live, samedi dernier.

Bref, l'égérie défroquée de Disney n'a aucunement l'intention de se laisser intimider par le vent moralisateur qui souffle dans sa direction.

Parmi les milliers de papiers parus à son sujet, j'ai retenu celui de la féministe et grande prêtresse de l'analyse socio-pop, Camille Paglia. Première à donner de l'épaisseur et du vernis sociologique à Madonna, Paglia est une apôtre de la transgression, favorable à tous ceux et celles qui, par le scandale, testent les limites de la société. Mais Miley Cyrus n'obtient pas sa bénédiction. Dans un texte dévastateur, elle lui conseille de retourner à l'école, faire ses classes en subversion. Paglia écrit: «les provocations de Madonna étaient infusées des braises de la sexualité parce qu'en bonne catholique, Madonna avait un sens inné de la transgression.»

La transgression de Miley Cyrus, selon Paglia, tourne à vide puisque, ayant grandi sans limites ni balises, elle ne peut en violer aucune.

Je suis en partie d'accord avec Paglia. Il y a effectivement quelque chose de mécanique, de plaqué et de désincarné dans les trémoussements de Miley Cyrus. Sa manie infantile de sortir sa langue à tout bout de champ en grimaçant un sourire, finit par lasser. On a envie de lui dire: ça va cocotte, on a compris. Tu peux rentrer ta langue, sinon elle va finir par traîner par terre.

En même temps, on la comprend de vouloir casser son image de petite fille sage et de montrer qu'elle a vieilli et qu'elle est désormais une femme. Toutes les filles passent par là. La différence, c'est que Miley est prise pour devenir une femme en public et qu'elle use de la seule arme à sa disposition pour le prouver: son corps. En passant, Céline Dion a vécu le même genre de mue médiatique à l'époque d'Incognito. Un jour, elle était une petite fille moche avec des broches et des blouses bouffantes, le lendemain, une nymphe sexy avec des cheveux lisses et des jambes de top model.

Miley n'est pas née d'une génération spontanée. Elle descend d'une longue lignée de vedettes de la pop dont l'archétype demeure Madonna. C'est Madonna qui a parti le bal de la sexualisation. Celles qui la suivent sont condamnées à tenter de la dépasser en multipliant les outrances et les excès comme l'ont fait Britney, Beyoncé, Rihanna, Gaga et compagnie. Miley ne fait ni mieux ni moins bien qu'elles. Elle le fait à sa manière, c'est tout.

Ce qui m'amène à un dernier point: celui des rites initiatiques marquant le passage de l'enfance à l'âge adulte. Aujourd'hui, un garçon voulant prouver qu'il est devenu un homme peut aller à la guerre ou à la chasse, se saouler la gueule, conduire comme un malade ou faire un paquet de conneries pour tester sa virilité. Les choix de transgressions sociales pour les filles sont plus limités: elles peuvent choisir de se voiler ou alors, aller dans l'excès contraire et montrer leur cul. À cet égard, Miley ne fait que suivre la parade.

Est-ce si terrible? Ce n'est sans doute pas le meilleur modèle pour les filles de 12 ans qui achètent ses disques. Mais il ne faudrait jamais oublier deux choses. D'abord, que le corps nu d'une femme sera toujours mieux que l'image d'un fusil ou de deux types qui se tapent dessus. Et puis, dans les dictatures, le sexe et le corps des femmes sont les premiers symboles que les dictateurs cherchent à contrôler. Sachant cela, le corps nu et non violent de Miley est un petit prix à payer pour maintenir l'illusion de notre liberté.