Ils ont été une génération de cinéastes formidable. Une génération allumée, engagée, pionnière, visionnaire. Une génération libre malgré l'époque noire et étriquée dont ils sont issus. Le cinéma québécois leur doit beaucoup. Mieux que ça: le cinéma québécois leur doit tout. Sans eux, il n'y aurait pas de Xavier Dolan, de Philippe Falardeau, de Denis Villeneuve, de Bernard Émond, d'Anaïs Barbeau-Lavalette ou de Catherine Martin. Ils ont ouvert la voie. Ils ont tracé le chemin. Ils se sont aventurés là où notre cinéma naissant n'était jamais allé. Ils ont inventé notre modernité.

C'était dans le feu des années 60, dans les braises et le plomb des années 70, au début des désillusions des années 80. Le temps a passé. Ils ont vieilli, mais ne se sont pas assagis. On ne le savait pas, mais leur temps était compté et, trop vite, ils ont commencé à s'éteindre les uns après les autres.

Claude Jutra a été le premier à disparaître en novembre 1986. Comme dans la scène prémonitoire du film À tout prendre (1963), où tous les personnages passent leur temps à chercher Claude Jutra, le cinéaste, affligé par l'alzheimer, s'est jeté à l'eau et n'est jamais remonté.

Gilles Groulx l'a suivi dans la mort 12 ans plus tard, en laissant une collection de films qui ont inspiré Pierre Falardeau, dont l'extraordinaire Golden Gloves ou l'audacieux Chat dans le sac.

En juin 1999, la veille de la Saint-Jean, Pierre Perrault, le cinéaste de Pour la suite du monde, est parti en laissant une oeuvre colossale, un long poème dédié aux gens d'ici, pêcheurs de marsouin, agriculteurs et autres chasseurs de bêtes lumineuses.

Bernard Gosselin, celui qui avait si bien su capter en images et en silences émus César et son canot d'écorce, est parti en 2006.

Georges Dufaux, fabuleux directeur photo et réalisateur du percutant Enfants des normes, a disparu en 2008, un an avant Gilles Carle, qui n'a jamais pu tourner son dernier film.

On savait qu'Arthur Lamothe, ce bon vivant au rire tonitruant et à l'accent chantant du sud de la France, était malade. Mais Arthur en avait vu d'autres. On le croyait aussi endurant que ces bûcherons de la Manouane qu'il nous a fait découvrir en 1958, aussi combatif que les Montagnais à qui il a donné la parole dans une série de films inspirants. La maladie a fini par avoir raison de son accent chantant, la semaine dernière. En apprenant sa mort, je n'ai pas pensé à Michel Brault, même s'ils sont de la même génération, qu'ils se sont connus et côtoyés à l'ONF et qu'ils ont été frères d'armes dans toutes les batailles livrées âprement pour l'amélioration des conditions des artisans du cinéma québécois.

Je n'ai pas pensé à Michel Brault, sans doute parce que je le croyais éternel, lui, le grand six pieds avec son sourire moqueur et ses beaux yeux clairs, un oeil qui pleure, l'autre qui mesure la lumière, comme il aimait répéter. Il ne tournait plus, mais il n'en finissait plus de récolter des prix et des honneurs, lui, le prince de la lumière, le chevalier de l'argentique, lui, le grand pionnier du cinéma-vérité et de la caméra épaule, dont les prouesses techniques ont fait école dans le monde. Le jour de sa mort, il était d'ailleurs en route pour un ultime prix dans un festival du film à Huntsville, en Ontario. Ce soir-là, en lui rendant hommage pour l'ensemble de son oeuvre, on devait présenter Geneviève, un moyen métrage de 1964 mettant en vedette Geneviève Bujold et Louise Marleau sur fond de carnaval.

Pourquoi ce film-là plutôt que Les ordres, qui lui avait valu le prix de la mise en scène à Cannes en 1975, on ne le saura jamais. Michel Brault non plus ne l'a pas su. Il a été foudroyé par une crise cardiaque au milieu de nulle part sur l'autoroute 400. Sa mort subite et inattendue nous a tous pris par surprise et laissés sans mots. Un monument, un autre, venait de nous quitter à jamais.

C'est triste de voir une génération s'éteindre: surtout une génération aussi forte et marquante, sans laquelle le cinéma d'ici n'aurait pas pu grandir, s'épanouir et s'imposer. Au moins, il nous reste leurs films: des films numérisés qu'on peut visionner sur le site de l'ONF, mais aussi sur le merveilleux site d'Éléphant, un portail de Québecor lancé dans le but de déposer sur plateforme numérique l'ensemble des films québécois.

Michel, Arthur et les autres ne sont plus avec nous, mais leurs films continuent de vivre sans eux, nous laissant un précieux héritage qu'il ne faudra jamais oublier. Parce que la suite de l'histoire, c'est avec eux qu'elle commence.