Pour mieux s'intégrer à la société québécoise, le ministre de la Culture Maka Kotto, natif du Cameroun, a renoncé à porter un crâne de panthère. C'est l'exemple qu'il a choisi pour défendre la Charte des valeurs québécoises de son gouvernement. Autant dire qu'il nous a bien fait rigoler. Comme dans la caricature de Chapleau, nous avons tous eu la même image en tête: celle du ministre coiffé d'un crâne de panthère de la taille d'un panache d'orignal et digne d'un carnaval brésilien. Que l'objet en question soit en réalité une petite amulette aux allures de bijou ne nous a pas effleuré l'esprit. L'image du ministre panthère était trop belle.

Le ministre voulait sans doute donner une couleur personnelle à son plaidoyer et souligner au passage que l'intégration à la société d'accueil commande des concessions et des sacrifices. J'en sais quelque chose. Le premier geste que j'ai fait pour m'intégrer à la société québécoise a été de ranger mon accent pointu de Française et de me mettre à sacrer. Mais j'ai un meilleur exemple de concession. Il concerne cette fois le voile islamique et son caractère assez aléatoire, merci.

La scène se passe il y a cinq ou six ans chez IKEA où je communie religieusement au moins une fois par mois. Toujours est-il que je m'y retrouve un 31 octobre, jour de l'Halloween. Ce jour-là, c'est la fête: tous les employés sont costumés. Il n'y a rien de sérieux ni de religieux dans un déguisement d'Halloween. C'est une parure pleine d'humour, d'autodérision, de plaisir fantasmé. C'est l'occasion de prendre sa revanche sur le quotidien routinier et de s'affubler comme on n'oserait jamais le faire dans la vraie vie.

Alors que je m'approchais des caisses, j'ai aperçu, parmi les fées des étoiles, les vamps, les monstres et les squelettes masqués, une caissière voilée dans une longue tunique noire full musulmane. J'ai souri à la blague me disant: voilà une caissière qui n'a pas froid aux yeux. Et puis j'ai eu un doute. Et si elle ne plaisantait pas? Je me suis approchée. Est-ce que vous êtes déguisée? lui ai-je demandé. La caissière a rougi avant de me répondre non sans un certain malaise: à moitié.

Elle m'a alors expliqué que son employeur ne permettait pas le port du voile au travail, mais qu'elle avait profité de l'Halloween pour faire un accroc à la consigne non écrite. En d'autres mots, même si ça la contrariait d'enlever son voile, même si ça allait à l'encontre de ses convictions religieuses, cette femme qui ne devait pas gagner un salaire faramineux avait accepté de se séparer de son voile pour gagner sa vie. Mieux encore: elle avait transformé un symbole religieux en costume d'Halloween!

Si une caissière d'IKEA est capable d'un tel sacrifice, je ne vois pas pourquoi une employée de l'État ne le serait pas, surtout pour un poste autrement mieux payé.

Aujourd'hui, au nom de la diversité culturelle, IKEA permet le port du voile à ses employées dans pratiquement tous les pays. En Grande-Bretagne, la multinationale suédoise a poussé sa logique en faisant fabriquer pour ses employées musulmanes des voiles islamiques avec le logo d'IKEA. Une belle ouverture d'esprit, certes, mais qui n'a pas empêché la multinationale d'effacer les femmes, toutes les femmes, de la version saoudienne de son catalogue. IKEA s'est excusée par la suite. Mais en ce qui me concerne, le mal était fait et n'a pas pu effacer tous les catalogues sans femmes qui ont fait leur chemin dans les chaumières saoudiennes.

Je suis retournée récemment chez IKEA. J'y ai vu plusieurs employées la tête voilée. Mais je n'en ai vu aucune coiffée d'un crâne de panthère. C'est dommage. Car tant qu'à se draper dans le drapeau de la diversité, pourquoi se priver d'aussi beaux excès?

On en parle trop

De Véro. Véro à la télé. Véro à la radio. Véro sur les réseaux sociaux, Véro a la une du magazine Véro qui portera son nom et son visage et qui sortira quatre fois par année. Est-ce que c'est trop de Véro? Non. Moi, j'en veux plus. Je veux Véro à vélo, Véro en métro, Véro qui fait dodo, Véro au Costco, Véro chez son dentiste, chez son nettoyeur, au dépanneur, mais, surtout, je veux voir Véro qui fait banco et qui rit à gorge déployée... chez son banquier.

On n'en parle pas assez

Des actrices musulmanes qui portent le voile. Qu'est-ce qu'elles font quand elles obtiennent un rôle? Elles gardent leur voile même si elles doivent jouer une pute qui fait le trottoir? Dans les films de l'Iranien Asghar Farhadi (sauf le dernier tourné en France), toutes les actrices sont voilées. Ce n'est pas un choix. C'est une obligation de l'État. Si le cinéaste ne respectait pas la consigne, il ne pourrait pas tourner de films. Voulons-nous vraiment des actrices voilées comme en Iran?