Le moment est arrivé. Dès samedi, à la tombée de la nuit, le Jardin botanique de Montréal va se parer de lumières et devenir un lieu magique, mystérieux, dépaysant, une île de beauté sombre au milieu du tumulte de la ville, un espace de rêve et de recueillement, une plage poétique et fantasmagorique où l'on a envie d'échouer pour quelques heures ou pour toujours.

Au cours des 20 dernières années, les Montréalais qui n'ont jamais vu en septembre les jardins de Chine et du Japon, illuminés par des orfèvres de l'éclairage, ont raté une belle occasion d'être éblouis et d'y puiser une source de fierté pour leur ville.

C'est encore plus vrai cette année. Des artistes se sont joints à la cérémonie de la lumière pour y ajouter une touche de nouveauté et de modernité.

C'est Danielle Roy qui donne le coup d'envoi avec des bouquets illuminés de feuilles en acier inoxydable, délicatement disposés le long du sentier qui mène au Jardin de Chine. Il s'agit de la première incursion de cette spécialiste des grands rassemblements de Juste pour rire dans l'univers luxuriant du Jardin. Elle espère que ce ne sera pas la dernière, tant l'espace de création offert par ce jardin magique l'a inspirée.

Quant à My Quynh Duong, cela fait plus de 10 ans que cette jeune Sino-Montréalaise dessine et conçoit toutes les lanternes du Jardin de Chine.

Cette année, elle s'est inspirée du thème de la biodiversité et des espèces menacées pour imaginer d'immenses figures de papillons, grenouilles, calao, poisson-chat du Mékong, et pour dépeindre des personnages liés aux peuples des Dai et des Hani.

Les dessins des 600 figures ont été envoyés à Shanghai, où des ouvriers ont fabriqué et peint à la main leur enveloppe de nylon translucide. Une fois revenues à Montréal, les figures ont été gonflées et illuminées de l'intérieur avec des ampoules à DEL. Réunies dans le jardin de Chine, elles constituent une sorte de parc Disney chinois, mais un parc Disney auquel on aurait insufflé du goût et du raffinement.

Le Jardin de Chine est joyeux, coloré et exubérant. Il est aussi la parfaite antithèse du Jardin du Japon, auquel on accède par un sentier en forme de serpent sinueux. En foulant le pavillon japonais, dont l'éclat rouge brille comme un incendie dans la nuit, le contraste entre les deux cultures nous frappe de plein fouet. Autant on s'éclate et on s'extériorise en Chine, autant on descend au plus profond de soi au Japon.

Le Jardin du Japon, illuminé par France Jutras et Jocelyn Bathalon, est une splendeur minimaliste et théâtrale, un immense tableau sculpté dans une nature dont les arbres et arbustes, taillés à la perfection, ont la délicatesse de la dentelle.

En arrière d'un des petits pavillons, où l'on peut s'asseoir pour se recueillir devant les bassins d'eau, une forêt de grands pins s'anime de mille bruissements musicaux conçus par le musicien Michel Dubeau. Ce jazzman et flûtiste, qui a fait la tournée de Cavalia l'an dernier, n'est pas Japonais, mais c'est tout comme. Il porte même le nom japonais de Rakumon, qui lui a été donné par un grand maître de la flûte japonaise.

Le Jardin botanique fut longtemps le paradis des horticulteurs et des paysagistes. Mais de plus en plus, on y fait appel à l'imagination de créateurs issus des arts visuels, du design, de l'éclairage ou de la musique pour lui donner une autre résonnance et le rendre encore plus envoûtant. Et cela ne fait que commencer.

Au dire du directeur Charles Mathieu Brunelle, les artistes seront de plus en plus conviés à mettre leur vision artistique au service du jardin et de sa végétation.

Je ne sais pas si le frère Marie-Victorin, qui a fondé le Jardin botanique en 1931, reconnaîtrait son oeuvre. En 82 ans, il y en a des choses qui ont changé. Les saules pleureurs ont poussé comme des cathédrales. L'érable argenté, le doyen du jardin, a vu ses frères rouges et noirs aux reflets chatoyants, venir grossir les rangs de la famille. De nouvelles espèces ont été introduites. Et lentement mais sûrement, au fil des ans, ce jardin déjà magnifique s'est transformé sans pour autant se dénaturer.

Il y a bien des choses qui ne marchent pas à Montréal, mais si la beauté existe encore, elle s'est réfugiée au Jardin botanique. Pour les deux prochains mois, elle nous y donne rendez-vous. Tous les jours, à la tombée de la nuit.