Dans un autre pays, mais dans les mêmes circonstances tragiques, est-ce qu'on aurait parlé d'un attentat politique? C'est la question qui hante l'acteur et réalisateur Yves Desgagnés depuis le 4 septembre 2012. C'est aussi la raison qui l'a poussé à retourner voir les images tournées ce soir-là au Métropolis par une équipe qu'il avait engagée pour suivre la première ministre Marois toute la journée. C'est enfin ce qui l'a décidé à produire et à réaliser le documentaire La Première, diffusé hier soir sur les ondes de TVA.

Mes attentes étaient grandes, alimentées par Desgagnés lui-même qui annonçait des images-chocs, des scènes jamais vues, tournées dans les coulisses mêmes du drame, au Métropolis.

On allait enfin voir ce que la télévision n'avait pu nous montrer le soir du 4 septembre, quand les gardes du corps de la première ministre Marois ont bondi sur scène, l'interrompant dans son discours pour littéralement la soulever de terre et l'entraîner contre son gré à l'arrière-scène.

Malheureusement, on cherche en vain dans ce documentaire les images-chocs ou les images tout court qui nous auraient fait voir et vivre de l'intérieur ces terribles minutes où la fumée, le feu et la mort rôdaient. Les images ne sont pas au rendez-vous. Les deux jeunes caméramans engagés par Desgagnés, le maître de cérémonie de la soirée, manquent de réflexes, d'expérience ou tout simplement de talent. À travers leur objectif morne, on voit que le feu est pris, qu'un homme gît blessé par terre, mais tout cela est tellement mal filmé, sans âme ni discernement, qu'on ne sent rien de la tragédie qui est en train de se dérouler.

Les meilleures prises de vue sont celles des gardes du corps, absorbés par leurs téléphones portables et dont le calme olympien un brin décalé et presque suspect laisse supposer qu'ils dorment au gaz ou alors qu'ils sont complètement dépassés par les événements. Quant à Pauline Marois, dans les coulisses enfumées, elle brille par son absence. On l'entrevoit à peine. On ne sait rien de ce qui se passe dans sa tête ni même ce qu'elle dit à son entourage. C'est probablement pourquoi Desgagnés l'a fait revenir sur les lieux de l'attentat six mois plus tard, l'invitant à se confier sur ce qu'elle a vécu ce soir-là, ce qu'elle fait avec une belle lucidité et sans sombrer dans le pathos ou la victimisation.

Il n'en demeure pas moins que La Première n'est pas un film sur les événements du 4 septembre. Cette portion du documentaire dure à peine 10 minutes, après quoi on verse dans l'hommage et l'éloge à la première, première ministre du Québec. On la suit de rencontre en conférence, de point de presse en cérémonie honorifique. On la voit même voler une heure à son horaire pour aller chez le dentiste pour un nettoyage de dents, une scène dont bien franchement on se serait passés. Pauline Marois se confie à la caméra de manière fort sympathique, mais la carte postale charlevoisienne derrière elle ressemble trop au décor d'une pub pour Tourisme Québec et finit par nous distraire de son propos.

À côté du documentaire À hauteur d'homme du cinéaste Jean-Claude Labrecque, qui a suivi Bernard Landry pendant les derniers mois de sa vie de premier ministre, enregistrant ses jurons, ses colères et ses coups de gueule, La Première ne fait pas le poids. C'est un film trop gentil, trop partisan, auquel il manque du nerf et de l'intensité. Nous sommes pourtant ici à hauteur de femme, mais à force de vouloir nous montrer cette femme sous un jour trop favorable et trop élogieux, on finit par ne plus y croire. Il manque beaucoup d'images à ce film. Et pas rien que les images des coulisses du Métropolis. Autrement dit, le film sur la première première ministre du Québec reste à faire.