Vous l'avez peut-être vue dans 30 vies en 2011. Elle y incarnait une prostituée moldave dans un bordel tenu par Danielle Proulx. Ce qui est un peu ironique, puisque Xenia Chernyshova a participé l'été dernier à une manif contre la prostitution, non pas en Moldavie, mais en Ukraine, où elle est née.

Diplômée de l'École nationale de théâtre en 2009, Xenia a, depuis, tenu toutes sortes de petits rôles à la télé - dans La promesse, Les rescapés - et au théâtre dans L'Opéra de quat' sous et Le bourgeois gentilhomme.

Mais le plus grand rôle à ce jour de cette comédienne de 27 ans, mère d'un enfant de 2 ans, est celui qu'elle a tenu samedi au collège Vanier, à titre de porte-parole de la section montréalaise de Femen, un mouvement féministe radical né en Ukraine.

Samedi dernier, alors que l'ex-premier ministre de la Tunisie et actuel secrétaire général du Parti islamiste tunisien, invité par les Tunisiens solidaires de Montréal, venait de prendre la parole, Xenia est passée à l'attaque, façon Femen. Elle a bondi sur scène, a enlevé son t-shirt et montré ses seins nus en criant «Free Amina» - en référence à une jeune Tunisienne emprisonnée pour s'être affichée nue sur l'internet avec le slogan: «Mon corps m'appartient».

Il n'en fallait pas plus pour que des fiers-à-bras tunisiens, pas solidaires pour un sou, sautent sur Xenia, la jettent brutalement par terre, lui tirent les cheveux et passent à un cheveu de la tabasser. Si c'est ça, la solidarité à Montréal en 2013, alors bravo. Oui, vraiment, bravo les gars.

Heureusement, quelques Tunisiens se sont interposés pour la protéger. Et surtout, heureusement, quelqu'un a eu la bonne idée de filmer le tout et d'afficher la vidéo sur YouTube.

Grâce à la vidéo, Xenia est devenue la saveur du jour hier, multipliant les entrevues à la télé et à la radio. Et comme elle est très jolie et pas conne, inutile de préciser que les médias se sont régalés.

Si certains se demandent encore quelle peut être l'utilité d'une section Femen à Montréal, là où les droits des femmes ne sont pas bafoués, Xenia vient d'apporter un argument de poids.

N'eût été son intervention, personne n'aurait su que le secrétaire général du Parti islamiste tunisien venait faire du prosélytisme à Montréal. Personne n'aurait pu voir à l'oeuvre la brutalité des islamistes à l'égard des femmes qui osent les contredire, ici même dans une ville où les femmes sont en principe libres et égales aux hommes.

Au téléphone, hier après-midi, Xenia m'a longuement parlé de sa démarche. Premier constat: la comédienne n'est ni folle ni hystérique. C'est une jeune femme structurée, cohérente, consciente qu'elle vit dans une société égalitaire, mais soucieuse du sort des femmes dans le reste du monde qui n'ont pas cette chance.

Arrivée au Québec avec ses parents à l'âge de 12 ans, elle a grandi à Sept-Îles, avant de venir étudier le théâtre à Montréal de 2005 à 2009.

Son engagement politique remonte à l'été dernier. À la faveur d'un voyage en Ukraine, elle a rencontré les activistes de Femen, qui militaient contre la prostitution et le tourisme sexuel.

«De voir ces femmes se tenir debout, elles qui, comme moi, ont été élevées à se taire dans une démocratie qui est en réalité une démocrature, m'a émue aux larmes. J'ai immédiatement voulu me joindre à leur cause.»

Comme toutes les militantes de Femen, Xenia croit que ses seins sont politiques. «Je ne suis pas une exhibitionniste dans la vraie vie. Je suis plutôt timide et effacée, mais me montrer les seins nus, c'est une façon de désérotiser mon corps et d'en faire un instrument d'intervention politique provocant, et choquant pour certains», dit-elle.

Son intervention au collège Vanier était sa troisième depuis l'été dernier. Le 25 octobre, Xenia s'est promenée les seins nus chez Ikea pour protester contre la décision de la chaîne d'effacer toutes les femmes de son catalogue en Arabie saoudite. Puis, le 4 avril, Xenia et une dizaine de sympathisants de Femen, hommes et femmes confondus, ont manifesté devant le consulat tunisien à Montréal pour appuyer Amina Tyler, dont le procès doit bientôt débuter en Tunisie.

Samedi, c'est à la demande de Tunisiens laïcs de Montréal que Xenia s'est pointée au collège Vanier. Elle était accompagnée d'un ami, qui s'est carrément fait tabasser quand les islamistes purs et durs dans la salle ont compris qu'il était son complice.

Après qu'on l'a expulsée manu militari de la salle et qu'on a recouvert ses seins nus d'un t-shirt, de jeunes Tunisiens ont débattu avec Xenia pendant 40 bonnes minutes dans un couloir. La discussion a été émotive, mais au moins, cette fois, personne n'a cherché à faire taire Xenia. Pendant ce temps, le secrétaire général du Parti islamiste tunisien a tenté de reprendre la parole. Mais le chaos s'était installé dans la salle, désormais divisée, et il a été obligé de couper court à son discours.

C'est dire que ce jour-là, une jeune femme libre et téméraire, avec ses seins nus comme seule arme, a fait oeuvre utile. Contre l'intégrisme et pour toutes les femmes qui n'ont pas la même chance qu'elle.