Les femmes de politiciens ne naissent pas dans un moule. Sophie Grégoire en est la preuve. La femme de Justin Trudeau et ex-animatrice a quitté la télé pour élever ses enfants, enseigner le yoga, donner des conférences sur la boulimie et, à l'occasion, chanter en sanskrit.

Elle avait allumé les deux bougies devant le buste du dieu hindou Shiva dans l'entrée. Elle avait aussi mis la table et préparé de ses mains un délicieux goûter de saumon fumé et de salade de betteraves. Mais avant, Sophie Grégoire Trudeau tenait à me montrer la raison pour laquelle on se rencontrait chez elle: l'inondation dans le sous-sol.

«J'ai pas de mari, faut que je m'occupe de tout ici!» m'a-t-elle lancé avec humour.

En réalité, Sophie Grégoire, qui a épousé le nouveau chef du Parti libéral du Canada, en 2005, va bientôt avoir un mari sept jours sur sept. D'ici six semaines, Sophie, 38 ans, Xavier, 5 ans, et Ella Grace, 4 ans, auront rejoint Justin à Ottawa.

Mais quand elle m'indique les boîtes dans le corridor de sa maison, ses grands yeux verts se voilent. Quitter Ville Mont-Royal, le quartier de son enfance, ne sera pas facile. À cause de la quiétude du voisinage, de la luminosité de sa grande maison avec piscine, mais aussi parce que ses parents - Jean Grégoire, un courtier en Bourse, et sa mère, Estelle Blais, une infirmière, vivent tout près.

Au moment de notre rencontre, à peine trois jours s'étaient écoulés depuis la victoire de Justin. Qu'est-ce qui a changé?

«Rien, a-t-elle répondu, et mon rôle là-dedans c'est justement de garder les pieds sur terre, de faire en sorte que la vie continue comme avant. Nous avons évidemment discuté de la possibilité que Justin devienne premier ministre. Moi, vivre au 24, Sussex, c'est pas mon rêve, mais je suis obligée de reconnaître le côté magique de cette maison qui est la maison d'enfance de Justin.»

Rien n'a changé, mais c'est quand même le début d'une nouvelle aventure pour cette fille de TMR (comme on disait dans le temps), vive, spontanée, chaleureuse, pas fausse pour un sou, qui a fréquenté l'école Saint-Clément, puis les écoles privées et qui, à l'adolescence, comme trop de filles anxieuses, a combattu les affres de la boulimie.

«La boulimie, dit-elle, ça paraît moins que l'anorexie, mais c'est aussi souffrant. C'est une déconnexion totale de ton essence, une névrose ancrée dans l'anxiété. Pour s'en sortir, il faut d'abord l'avouer. Je me souviens d'un soir où je n'arrêtais plus de pleurer tellement je souffrais. J'ai fini par appeler ma mère et par lui dire: ''J'en peux plus, aide-moi.'' La transparence, c'est le début de la guérison. C'est ce que j'explique dans mes conférences.»

C'est un plein désordre alimentaire que Sophie a rencontré le frère de Justin, Michel, qui est resté un bon ami jusqu'à sa mort dans une avalanche.

«Pour notre après-bal de graduation, on est allés chez les Trudeau à Saint-Adolphe. Pierre s'occupait du feu pendant que Justin, qui a quatre ans de plus que moi, servait la bière sans même me regarder.»

Le hasard réunira les deux en 2003 à la coanimation du Bal du Grand Prix de Montréal.

«On a flirté ce soir-là, puis le lendemain, j'ai envoyé un mail amical à Justin, genre c'était le fun, à bientôt. Il n'a jamais répondu. J'étais furieuse. J'ai fait un gros trait noir sur son nom. Puis trois mois plus tard, on se croise dans la rue. Il veut m'inviter à souper et me demande mon numéro de téléphone. Je lui ai répondu: '«Tu es un Trudeau, tu peux le trouver par toi-même!»»

Trois semaines plus tard, Sophie filait un mauvais coton. Sa carrière d'animatrice allait cahin-caha. Entre deux contrats, elle était acheteuse personnelle pour les riches clientes de Holt Renfrew. Son portable a sonné. C'était Justin qui avait trouvé son numéro.

«Justin est venu me chercher en jeans avec un vieux Bronco 82 qui sentait la boule à mites, en me la jouant un peu. On est allés dans un resto afghan et on a parlé pendant des heures. Il a fini par me dire avec la certitude calme que j'admire tant chez lui, que j'étais la femme de sa vie. Sur le coup, je me suis dit qu'il n'avait pas pris ses médicaments. Trois mois plus tard, je déménageais avec lui, rue Roy.»

Longtemps, avant de se mettre en ménage avec Justin, Sophie Grégoire s'est cherchée, étudiant le commerce à McGill puis les communications à l'Université de Montréal, passant du monde de la pub chez Diesel aux relations publiques chez Eldeman et au marketing aux Ailes de la mode, avant de se réorienter à l'école ProMédia et d'être engagée comme rédactrice à LCN. Elle a enchaîné les piges d'animation à Canal Z, TVA et à etalk sur CTV, où elle couvrait les arts pour le Québec. Malgré son naturel joyeux, elle n'a jamais été une animatrice-vedette et n'a pas eu une carrière marquante à la télé. Tant et si bien qu'il y a un an et demi, elle a démissionné d'etalk. «Je ne voulais plus être liée à un projet qui ne me comblait pas complètement», dit-elle.

Entre-temps, elle avait rejoint le monde du bénévolat, le circuit des conférenciers et surtout elle avait découvert la paix intérieure avec le yoga.

«J'adore le côté spirituel du yoga qui est proche du bouddhisme. Maintenant je l'enseigne une fois par semaine, mais rassurez-vous, je ne suis pas dans le New Age ni l'ésotérisme», offre-t-elle en réponse aux critiques qui ont fusé après une conférence où elle a vanté le sacré féminin et chanté en sanskrit, façon Margaret Trudeau au plus fort du flower power.

La comparaison la fait sourire. Elle rappelle que Margaret est entrée dans la vie de Trudeau à 22 ans, sans carrière et sans grande expérience de la vie. «Margaret et moi, c'est deux mondes», dit-elle. Reste que les critiques qui pleuvent sur elle, mais surtout sur son mari, la heurtent.

«C'est tough d'entendre que Justin n'a rien à dire, qu'il est vide. J'évite de regarder la télé, je me tiens à distance de la mauvaise énergie et des perceptions injustes pour ne pas déprimer. Si Justin avait un autre nom, mais les mêmes qualités, personne ne l'attaquerait. Cela dit, personne ne va enlever à Justin le travail, l'apprentissage, l'acharnement ni la pureté de son intention. Justin croit sincèrement qu'il y a moyen de faire de la politique autrement, de renverser la machine et de gouverner en étant à l'écoute des gens. Cela ne veut pas dire qu'il est naïf pour autant et moi non plus. Mon coeur est tendre, mais je me protège. J'ai longtemps refusé de regarder l'imitation de Véro de moi au Bye Bye, ça m'enrageait, mais j'ai fini par la voir et par en rire. Si t'es pas capable de rire de toi-même, la vie va être longue.»

Les femmes de politiciens ne sont pas faites dans un moule, mais trop souvent les impératifs du pouvoir les forcent à y rentrer. En sera-t-il ainsi pour Sophie Grégoire? Chose certaine, la scène politique à Ottawa risque d'être un peu moins coincée avec Sophie dans les parages.